Episode 2 : « Pourquoi les Lycéens de Caen furent-ils les premiers Normands à jouer au football ? »
Ami lecteur, maître de la syntaxe de Molière et adepte du 4-3-3, salut !
Comme nous l’avons évoqué, le football est apparu subrepticement à Caen dans le cadre confiné du lycée. Toutefois, à l’orée des années 1890, le « football association » est encore loin d’être un sport autonome en France. Comment et pourquoi ce jeu a-t-il franchi le Channel ? Pourquoi les lycées ont-ils été les réceptacles privilégiés de cet irrésistible mouvement ?
Tout d’abord, deux figures essentielles doivent être convoquées au regard de l’influence décisive qu’elles ont joué. Il s’agit de Pierre de Coubertin et de Paschal Grousset. Coubertin, qui restait très marqué par son séjour anglais de 1883, s’était donné deux objectifs : réformer l’enseignement et faire du sport une activité essentielle. Vaste chantier ! Pour rappel, les lycées d’Etat étaient alors des casernes à la rigueur proverbiale, où l’on portait l’uniforme, vestige patent d’une création marquée du sceau napoléonien. La discipline comptait avant tout ! A Caen, on note ainsi que les grands élèves internes du lycée n’ont reçu l’autorisation de parler pendant les repas qu’en 1888 ! Pour le baron de Coubertin, le sport devait être le moyen d’encourager l’initiative individuelle de la jeunesse, trop écrasée par ces excès de discipline. Néanmoins, son action s’érigea clairement contre l’émergence de la gymnastique, d’essence essentiellement martiale. En effet, si son objectif était de « rebronzer » la jeunesse de France, il estimait que le « sport militaire » ne produirait pas « de bons citoyens ». Le but de former le soldat-citoyen qui avait fait défaut à Sedan en 1870 prit donc chez lui d’autres moyens. Le jeune aristocrate n’hésita pas à demander audience au président de la République, Sadi Carnot, qui lui prêta une oreille très attentive et l’encouragea dans la voie qu’il s’employait à ouvrir. C’est ainsi que fut créé, le 1er mai 1888, le Comité de Propagation des Exercices Physiques dans l’éducation.
Mais en parallèle, une autre organisation fut fondée simultanément par Paschal Grousset : la « Ligue nationale de l’Education physique ». Si Grousset partageait avec Coubertin l’idée de haute vertu incarnée par le sport, il s’opposait en revanche à lui sur le sujet de l’importation de sports anglais en France et souhaitait rendre leur pratique accessible à tous et pas seulement à une élite. Les idéologies divergeaient ! Dans le cadre de cette lutte d’influence, Coubertin trouva des appuis décisifs dans la défense des idées d’une l’éducation libérale par le sport, selon le modèle britannique. Ainsi, le 31 janvier 1889, à l’instigation de Georges de Saint-Clair, naquit une fédération omnisports promise à un bel avenir : l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), destinée à remplacer l’Union des sociétés françaises de course à pied, fondée en 1887 par le Racing Club de France et le Stade Français.
Pourtant, l’heure du football n’avait pas encore sonné. D’ailleurs, la distinction restait encore très floue en France entre rugby et football. En outre, le baron de Coubertin, secrétaire général de l’USFSA, et Georges de Saint-Clair, se méfiaient d’un sport devenu professionnel en Angleterre depuis 1885, ce qui explique que le rugby fut davantage encouragé dans les premières associations sportives du début des années 1890. Pour les fondateurs de la nouvelle fédération omnisports, l’amateurisme était en effet érigé en doctrine cardinale. Il en résulta cette curiosité sémantique consistant à désigner le rugby par le terme « football », tandis que le véritable jeu de balle au pied fut appelé « football association », voire « association » tout simplement. Un comble ! Ses pratiquants étaient parfois affublés de l’affreux terme d’ « associationnistes ». En dépit de la rude concurrence entre les différents mouvements sportifs du pays, l’USFSA tira en fait profit d’un décret de janvier 1890, octroyant aux élèves des lycées publics l’autorisation de se constituer en associations scolaires. L’Union s’imposa alors auprès des jeunes gens et surtout de leurs proviseurs. Pierre de Coubertin accomplit ainsi un véritable tour de France des établissements dans le but de porter la bonne parole sportive et « amateuriste », n’hésitant pas à exacerber le chauvinisme cocardier : « Le lycée c’est la patrie pour laquelle on se bat ». La plupart des soixante sociétés scolaires qui feront partie de l’Union début 1895 sont apparues entre 1890 et 1891. C’est donc précisément le cas à Caen, avec la création de l’Union Athlétique du Lycée de Caen (UALC). Cette naissance est peut-être à mettre en rapport avec la présence d’élèves anglais, dont le nombre oscilla entre 8 et 12 internes de 1880 à 1890. En effet, la diffusion des sports d’origine anglaise dans les lycées était alors bien davantage introduite par les professeurs d’anglais que par les professeurs de gymnastique.
A suivre.
FDM
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