Episode 3 : « Le sport, une affaire de lycéens et d’étudiants »
Ami lecteur, adorateur de la prose proustienne et fan de dribbles maradonesques, salut !
Les années 1891-1894 furent marquées dans la cité ducale par l’émergence d’une émulation sportive. Bien sûr, ce mouvement ne concernait alors qu’une infime partie de la population : les jeunes gens qui fréquentaient le lycée et s’apprêtaient à faire des études supérieures. Pour se convaincre de l’étroitesse du terreau sociologique concerné, il suffit de rappeler qu’en 1887, il n’y avait que 6 600 bacheliers en France (soit 1% seulement d’une classe d’âge). Le recrutement des lycéens de l’époque s’opérait exclusivement dans la bourgeoisie et il est certain que la pratique du football, jeu d’une petite élite urbaine, exclura de fait les couches populaires françaises jusqu’à la Première Guerre mondiale. En outre, si tout était désormais en place pour la grande aventure du football à Caen, les réticences restaient nombreuses ! Notons ainsi l’occurrence sarcastique concernant le football (mais lequel, au fait ?) dans l’Express de Caen du 25 mai 1891 : « au XXe siècle, disait Alexandre Dumas « tout le monde sera fou ». Non, dit Paul Bosq, tout le monde sera clown. » Pour comprendre cette allusion, il faut se replacer quelques années plus tôt du côté du Havre, lorsque les jongleries des premiers « footballeurs » s’apparentaient aux yeux de beaucoup à de vulgaires jeux de cirque. Il n’empêche, l’irrésistible et fulgurante ascension du football était en marche.
Les supporters qui chantent aujourd’hui la gloire de « Malherbe » sont par ailleurs éternellement liés à cette période liminaire, par l’intermédiaire du décret du 19 août 1892. Signé de la main-même du Président de la République, ce décret entérina le changement de nom du lycée de Caen pour celui de Lycée Malherbe. C’est ainsi qu’au cours du second semestre de l’année 1895, l’union athlétique du lycée prit le nom d’Union Athlétique du Lycée Malherbe (UALM). Ce changement décisif est à l’origine directe du nom de notre club actuel, le Stade Malherbe, qui porte, dans les faits, davantage le nom du lycée que celui du grand poète caennais, même si nous pouvons nous enorgueillir de cette originalité sémantique, unique au monde. Mais n’anticipons pas trop !
Favorisé par l’activisme de Pierre de Coubertin, le sport scolaire reçut également un coup de fouet crucial dans la région avec l’organisation des « Lendits », imaginés par Paschal Grousset, et dont le but était de rassembler annuellement la jeunesse athlétique du pays. En 1892, sous l’impulsion du recteur Edgar Zevort, la manifestation gagna en effet l’académie de Caen (qui regroupait à l’époque les départements du Calvados, de l’Eure, de la Manche, de l’Orne, de la Seine Inférieure et de la Sarthe). Quatre compétitions se déroulèrent consécutivement entre 1892 et 1895 dans notre circonscription, dont les éditions de 1892 et 1894 eurent justement lieu à Caen. Sous la houlette de M. Salles, professeur au lycée de Caen, le premier lendit normand se tint du 4 au 6 juin 1892. 240 élèves furent inscrits dans les différentes épreuves, ouvertes sous la présidence d’honneur du préfet du Calvados, M. Vatin, du général Chambert, commandant la 12e brigade et du maire de Caen, Georges Lebret. Les participants étaient issus de 23 établissements, parmi lesquels figuraient 8 lycées (Alençon, Caen, Evreux, Laval, Le Mans, Le Havre et Rouen) ; 10 collèges (Argentan, Bayeux, Caen, Domfront, Flers, Falaise et Vire) ; 3 écoles normales primaires (Alençon, Caen, Le Mans) ; l’école supérieure de commerce du Havre et les facultés de Caen. Cependant, en ce qui concerne ce premier rendez-vous, à côté des épreuves d’équitation, d’escrime, de tir, d’aviron, de gymnastique, d’athlétisme, de bicyclette et de bâton, le seul « football » représenté fut le rugby. Deux ans plus tard, le 3e lendit fut organisé par le lycée Malherbe les 13 et 14 mai 1894. Le football, « très goûté de nos élèves » et qui a « vivement intéressé le public » rassemblait cette fois-ci 7 équipes de football association. Il s’agit, à notre connaissance, de la première mention d’un tournoi de football association dans notre région. Relayés dans le premier numéro de la Revue Sportive de l’Ouest, les comptes-rendus des scores de matchs prêtent à sourire dans l’emploi du terme « point » à la place de celui de « but ». On apprend ainsi que l’Ecole Normale de Caen disposa du lycée de Cherbourg par 1 point à 0, ou encore que le collège de Bayeux s’inclina face au lycée de Coutances par 2 points à 0. Le lycée de Caen, quant à lui, gagna sa rencontre éliminatoire contre le collège de Vire (1-0) avant d’être confronté au lycée du Havre, contre lequel il fut battu par 1 point à 0. Le tournoi fut remporté par l’équipe havraise (grrrr), devant l’école normale de Caen et le lycée de Coutances. On était cependant qu’aux prémices du jeu ! Ces balbutiements furent retranscrits de la manière suivante dans l’article de la revue : « Le jeu de nos foot-ballers nous a paru peu étudié, et, à notre avis, la plupart des équipes ne possèdent pas la tactique du jeu. On sent chez ces jeunes gens un manque complet d’entraînement. L’Ecole Normale de Caen, cependant, a fait quelques beaux « dribblings », mais les avants ne « chassent » pas assez souvent devant eux : cette critique d’ailleurs, pourrait être adressée à toutes les équipes ; trop de grands coups de pied et trop peu de cohésion dans les différents camps ! » Si les compétitions purent se prévaloir d’un succès certain, les courants conservateurs perçurent les lendits comme essentiellement républicains et l’absence de soutien d’une certaine presse est explicite de leur rejet. Ces attaques, conjuguées surtout au manque de stabilité de l’institution, provoquèrent finalement sa disparition rapide. En outre, l’USFSA et Pierre de Coubertin avaient toujours regardé ces manifestations d’un œil réprobateur, sûrement par peur d’une popularisation excessive du sport. Le baron s’exprima d’ailleurs publiquement contre les lendits, « associations qui ne doivent pas sortir des murs de leurs lycées et universités ». Tout était dit !
A suivre.
FDM
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