Episode 4 : « La structuration des premiers clubs caennais »
Ami lecteur, amateur de vers shakespeariens et des crochets de George Best, salut !
En dépit de la rapide tombée en désuétude des lendits, le mouvement sportif était bien lancé au mitan des années 1890. Ainsi, l’Union athlétique de lycée s’était-elle affiliée à l’USFSA dès janvier 1893 dans le cadre de la « pratique des sports athlétiques ». Placée sous la présidence de M. de Lantivy, la jeune société aux couleurs blanche et noire établit son terrain principal sur le camp de Cormelles, route de Falaise. Le choix de ces couleurs se révèle très classique au vu de la mode chromatique de l’époque, puisqu’il était alors inconvenant pour des sportifs de s’accoutrer de manière trop exubérante, et ce, au moins jusqu’en 1914. Le blanc et le noir étaient alors considérées comme des couleurs « morales » et salubres : ce qui touchait le corps devait être pur, c’est-à-dire blanc ; ce qui était montré dehors devait être digne, c’est-à-dire sombre. A côté du blanc et du noir, le bleu, puis le rouge avec parcimonie, investirent progressivement le champ sportif. Il est souvent possible de déterminer l’ancienneté d’un club en fonction des couleurs de ses maillots (le jaune et le vert sont ainsi très souvent révélateurs de clubs « jeunes », comme peuvent l’être le FC Nantes ou l’AS Saint-Etienne par exemple). C’est à partir de la saison 1895-1896 que l’association scolaire du lycée de Caen fut enregistrée à l’USFSA sous le nom d’Union Athlétique du Lycée Malherbe (UALM). L’automne 1895 marqua donc l’association définitive du nom de « Malherbe » à celui du sport caennais ! Forte d’une centaine de membres, elle avait alors pour président Alphonse Lebas et ses présidents d’honneur étaient le proviseur Pouthas, le recteur Zévort, ainsi que M. Labbaye. Le mois de janvier 1895 fut en effet marqué par l’arrivée de M. Charles Pouthas au poste de proviseur, synonyme d’essor d’une pédagogie moderniste ouvrant notamment la voie à l’organisation de matchs de football contre les lycées d’Alençon et d’Evreux.
Dès 1893, deux autres sociétés sportives caennaises suivirent le sillon du club lycéen. Il s’agit de l’Union sportive des Etudiants de Caen (USEC), fondée le 10 décembre 1892, et de l’Union athlétique indépendante de Caen (UAI ou UAC), créée en septembre 1893 et affiliée à l’USFSA en janvier 1894. Présidée par le conseiller municipal M. Dufour, l’UAC établit son siège social au 127 rue de Falaise. Les sports pratiqués par ce club omnisports étaient la « vélocipédie » et les sports athlétiques, tandis que ses membres arboraient un tricot bleu paré d’une étoile blanche. Quant à l’USEC, qui porta à sa tête Camille Dupont, un étudiant en médecine, elle joua un rôle fondamental dans le microcosme sportif caennais. Ses statuts précisaient qu’elle avait pour but de développer « le goût des exercices physiques et spécialement des exercices de plein air », dont le football. La tenue de ses sportmen était « cerclé bleu et blanc » et ses activités se pratiquaient cours Cafarelli (pour le tennis) et à la Prairie. Les membres de l’USEC s’affichèrent de manière résolue comme des apôtres de Pierre de Coubertin. Ce dernier, invité à Caen en août 1894, participa au congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences. A peine sorti d’une campagne visant à rétablir les Jeux Olympiques, Coubertin y prononça un discours d’une éclatante beauté face à un public hostile, décidé à « faire la guerre au sport dans l’enseignement secondaire », les médecins de l’époque dénonçant alors les dangers qu’aurait recelé le sport pour les adolescents ! Le baron décrira lui-même ce discours dans ses mémoires comme « la bataille de Caen ». Pour les spécialistes, ce moment marque d’ailleurs la naissance de la critique du sport. Bien que « battu » lors du congrès, Coubertin instilla un « esprit » qui fit des émules parmi certains membres de l’auditoire caennais. Enthousiasmés, les étudiants de l’USEC ouvrirent les colonnes de la revue qu’ils venaient de créer, La Revue Sportive de l’Ouest, à la plume du « père des Jeux Olympiques modernes ». Dès le deuxième numéro, on peut lire un vibrant plaidoyer de Franklin Bouillon, auparavant proche de Grousset, en faveur de la régénération sportive. La devise de l’USEC était « l’union par l’action », quel plus bel ode à l’esprit collectif ? Les propos de Bouillon allaient également dans l’esprit de rassembler toutes « les classes » : « Nous aurons abattu les barrières qui, sans aucune raison, séparent l’homme de l’homme ». L’ « Esprit Malherbe », inscrit dans l’ADN du club actuel ne trouverait-il pas ici sa source originelle ? L’USEC influença alors les acteurs du sport caennais et régional en encourageant, par exemple, la création de l’Association Athlétique du Lycée de Coutances, parmi les membres desquels figurait Albert Berger, futur dirigeant historique du football bas-normand.
Dans ce contexte, des rencontres de football ou de rugby entre les premières sociétés caennaises (USEC, UAI, UALM) furent organisées à partir de l’automne 1894, les jeudis et dimanches, sur le nouveau terrain de l’USEC, route de Ouistreham, situé derrière l’emplacement actuel de l’Institut Lemonnier. Un match annuel fut également prévu entre les étudiants caennais et leurs homologues de l’ASEC du Havre, doté par l’USFSA d’une médaille et d’une coupe. En qualité de membres de l’USFSA, les associations étaient tenues de garantir les valeurs de l’amateurisme. Etait ainsi défini comme amateur « toute personne qui n’a jamais pris part à une course publique, à un concours ou à une réunion ouverte à tous venants, ni concouru pour un prix en espèces, ou pour de l’argent provenant des admissions sur le terrain, ou avec des professionnels pour un prix ou pour de l’argent provenant d’une souscription publique ou qui n’a jamais été à une période de sa vie professeur ou moniteur salarié d’exercices physiques ». Comprenant que le football risquait de s’organiser hors de son contrôle, l’USFSA décida de lancer le premier « championnat de France » en 1894, même s’il ne mettait encore aux prises que des équipes parisiennes…très anglophones. La première équipe championne, le Standard Athletic Club, n’alignait en effet qu’un seul Français sur la pelouse ! A Caen, l’existence de l’USEC et de l’UAI fut cependant éphémère. En partance pour la capitale après leurs études, le départ des principaux sociétaires mit fin à ces aventures dès 1895. Par suite du non paiement de ses cotisations, l’USEC fut ainsi radiée de l’USFSA le 22 octobre 1895.
A suivre.
FDM
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