Hier soir, après le coup de sifflet final, j’ai décidé de me consoler en lisant des extraits de la Poétique de Boileau et je suis tombé sur ce passage.
Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable,
Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable,
Une merveille absurde est pour moi sans appas,
L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.
C’est alors que j’ai compris. Ce Caen-Lille n’était qu’une mauvaise tragédie. Pourtant, tout s’annonçait sous les meilleurs auspices. Le dernier spectacle des deux équipes avait été salué par la critique et le premier épisode contre Evian était réussi. Tout avait été fait pour que cette soirée soit un événement. Avancée en raison de la tournée européenne de nos adversaires lillois, la représentation avait les honneurs de la télévision. Oui, oui. Comme quand France 2 diffuse un spectacle en direct du festival d’Avignon. A la différence que cette fois-ci, on a envie de regarder. On fermait même les yeux sur le non respect de la règle de l’unité de lieu, puisque l’intrigue se déroulait au Mans, dans un théâtre abandonné par ses acteurs il y a fort longtemps.
Soyons honnête, il ne se passe rien dans ce premier acte, c’est Le Grand Sommeil. La scène d’exposition n’en finit pas, on dirait les quatre cents premières pages de L’Éducation Sentimentale. Un premier incident vient interrompre ce calme plat avec la sortie sur blessure d’Imorou, le meilleur acteur de ces premières minutes. Le metteur en scène espérait-il que notre défenseur allait faire la publicité de cette soirée sur les réseaux sociaux ? Le seul frisson sera un solo de Nangis qui se serait bien vu en héros, mais les approximations dans son jeu n’en font pas encore un premier rôle crédible. A l’entracte, les spectateurs se rassurent comme ils peuvent en se disant que la suite ne pourra être que meilleure. Comme pour Bilbo, un voyage inattendu .
Premier rebondissement dans ce deuxième acte, avec la sortie sur blessure du héros du premier épisode : Mathieu Duhamel. C’est un peu comme si Rodrigue était mort au troisième acte du Cid ou que Monsieur Keating abandonnait ses élèves en plein Cercle des poètes disparus. Impensable. En le remplaçant par Koïta, on savait déjà que cela n’aurait plus la même saveur. Avez-vous déjà entendu quelqu’un dire qu’il préférait Danny Glover plutôt que Schwarzenegger dans Predator ?
Puis vint la 68eme minute : l’instant du Deus ex machina…L’intervention divine qui permet de résoudre une situation désespérée. Dans notre cas, de tout faire foirer. Ici, point de Dieu, juste une erreur humaine. Le scénariste, Monsieur Desiage, conscient de la faiblesse de l’intrigue, décide de faire n’importe quoi. Dans le jargon technique, on appelle cela « faire une Plus belle la vie ». Un pénalty et un rouge plus tard, le spectateur comprit enfin ce Caen-Lille . C’était le scénariste, l’homme au dessus de tout soupçon, qui se faisait la part belle dans la pièce en s’attribuant le rôle du méchant. Il était en train de nous faire du méta-théâtre. J’aurais dû m’en douter quand j’ai entendu les spectateurs chanter. Avait-il conscience de l’invraisemblance de ce choix ? Normalement, l’arbitre est comme le souffleur au théâtre : il doit guider et inspirer les artistes, pas leur mettre des bâtons dans les roues. Depuis quelques années, ils veulent avoir le premier rôle. Mais savent-ils qu’ils ne pourront jamais être nos héros ?
Évidemment, cela finit mal. On a le sentiment d’un vol en bonne et due forme (comme dirait le Capitaine Crochet) avec 22 acteurs en dessous de leur niveau et un homme en noir qui surjoue. Avec trois joueurs en moins la semaine prochaine, c’est Le port de l’angoisse qui nous guette. On aurait préféré assister à une fin épique : un coup de poignard ou de tête rageur des lillois à la 90eme plutôt que ce dénouement précoce et absurde. Cela aurait été moins cruel et plus beau. Ce Caen-Lille n’était pas une œuvre tragique mais un pitoyable mélodrame. La Farce de Maître Desiage. Je m’arrête. La règle de la bienséance m’y oblige.
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