POUR NICOLAS SEUBE
À Caen y’a une place piétonne où trône une statue.
C’est Louis XIV déguisé en empereur Romain
J’ai jamais compris l’idée saugrenue
Si on fait des statues de mecs déguisés en d’autres mecs
personne n’y comprend plus rien
Si ça se trouve à Montpellier
C’est des statues de Georges Frêche déguisé en Mao
Et personne ne le sait
Alors en passant devant cette statue
J’ai pensé qu’on devrait mettre à la place une statue de Nicolas Seube
Déguisé en Louis XIV
Déguisé en empereur romain.
Ça serait cohérent .
Bon, j’imagine que ça n’arrivera jamais
Que les gugusses à la culture ou à la voirie
(À Caen ils se confondent parfois)
N’ont certainement pas assez de second degré pour une idée aussi brillante
Surtout que la mairie est passée à droite
Et que Nicolas Seube avait en 2008 soutenu le maire PS (aujourd’hui battu).
Putain. Un footeux qui s’engage pour la gauche. Ils sont pas légion.
Je sais même pas si on pourrait en faire une équipe de 11 mecs capables de sortir Longuenesse en Coupe de France.
Bref. Ciao la statue.
Et pourtant
Si elle n’existe jamais ailleurs que dans mon rêve
Nicolas Seube la mérite à l’aise sa statue.
L’époque est prompte à recevoir comme transcendante vérité quatre pauvres dribbles qu’un footballeur réussit devant 140 caméras.
Les images déversées sur des millions de téléspectateurs abrutis de curlys deviennent sujet de discussion. Une infor-mation.
C’est d’autant plus efficace que ledit joueur a les neurones anesthésiées par le gel fixant qu’il déverse par hectolitres sur ses cheveux avant chaque match.
Dans un même incohérent délire, le lendemain, l’époque invalide la vérité de la veille.
Le footballeur adulé devient la honte de la nation.
Il est trop payé, il n’a pas chanté l’hymne, il est un mauvais modèle pour la jeunesse (dont au passage l’éducation est déléguée par des parents aux footballeurs…)
Ou simplement parce qu’il a mal joué.
(Moi je continue juste à lui reprocher sa coiffure scandaleuse et le fait qu’il ait fait sa dernière passe à l’époque où il jouait en moins de 17)
Cette époque ne se questionne jamais, une vérité en chasse une autre. C’est tout.
Nicolas Seube c’est le football à des kilomètres du spectacle. (Au sens de Debord hein Nicolas)
Nicolas Seube c’est le football qui peut encore raconter des choses vraies. Loin des fièvres médiatiques, des vedettes en carton, des petites déclarations et de l’hystérie d’un pays qui remet son destin à son équipe de football.
C’est pour ça que dans ma tête il y a une statue pour Nicolas Seube.
Seube c’est le mec arrivé à Caen à 20 piges et qui y est resté. Qui a joué ou dépanné à la moitié des postes possibles.
C’est le mec qui récupère la balle quand personne n’y croit plus.
Qui joue sa vie sur n’importe quel ballon pourrave à attraper.
C’est l’effleurement du bout de crampon qui fait gagner une demie seconde et annihile l’occase adverse.
C’est le geste défensif juste effectué avec la rage du désespoir.
Avec la conviction qui faut être là. Tenter.
Seube c’est la tentative sans calcul de raconter quelque chose de vrai.
Alors ouais c’est moyen sexy, moins qu’un but «venu d’ailleurs».
Moi j’attends rien qui soit venu d’ailleurs.
C’est pour ça que Seube est un Héros.
Il fait du foot, pas autre chose.
La Star Ac’ c’est pas fait pour apprendre à chanter, mais pour apprendre, comme l’indique le nom, à être star.
C’est pas grave. Mais c’est juste pas la même chose.
Là où le spectacle gagne les stades, le public, les médias, les joueurs, les jeunes qui regardent les stades le public et les joueurs, Nicolas Seube lui n’a jamais cessé de faire du foot.
Un jour avec mon pote Djiouffy on était au stade.
L’équipe jouait mal, comme parfois.
Il y avait 5000 pélos qui se gelaient à nos côtés, un mardi soir de Ligue 2. En février genre.
Autant te dire que t’avais l’impression que le sens de l’Histoire était pas vraiment là.
Et puis Seube faisait du foot.
Il taclait un pauvre ballon au milieu du terrain, arrachait du bout du pied une future passe décisive, faisait l’ouverture millimétrée au clampin d’ailier gauche qu’avait pas fait d’appel. Puis courrait défendre. Tout le monde s’en foutait.
Nous, à chacune de ses interventions décisives et anti-spectaculaires on disait «rhan ouais la classe» ou des trucs comme ça.
Bon à force que Seube nous en fasse des kilos, on a varié nos exclamations.
Pour te dire comme ça fait loin, le film «Mon père ce héros» était encore un souvenir partagé. Alors j’ai dit «Rhan Seube ce héros».
Ça nous a fait marrer.
C’était vrai hein, mais notre définition de l’héroïsme footballistique était si éloigné des canons qui se dessinaient en cette époque où le foot business spectacle avançait encore (un peu) masqué, qu’on l’a trouvée géniale.
Après, à chaque fois que Nico réussissait le geste génial dont tout le monde se cognait, avec Djiouffy, on hurlait que c’était un héros. C’était le nôtre.
Et puis par le hasard des réseaux sociaux le surnom Ce Héros s’est popularisé.
T’imagines.
Je sais plus contre qui on jouait mal cet abominable match, mais c’est ce soir là où Seube est devenu Ce Héros.
Notre héros, aux antipodes d’un applaudimètre de clameurs surgelées arrachées à un public de clients versatiles, à la faveur de deux passements de jambes pompés sur une otarie.
Il vient de vivre sa 4ème montée en Ligue 1, de jouer son 400ème match avec Caen, et d’y achever sa 13ème saison.
C’est pas un héros comme Batman, ou Captain America.
Il a pas des supers pouvoirs et il gagne pas toujours à la fin.
Des fois il va foirer un match.
Des fois il va être heroïque toute la saison et perdre un ballon à la 89ème dans un match capital qu’on paumera parce qu’il y a eu but derrière.
Et on descendra en L2, comme d’hab. Et on dira que c’est à cause de cette bourde.
C’est sûr que la bourde est visible.
Beaucoup plus visible que le reste.
Que les gestes décisifs à l’apparence anodine qui font que tu crois encore au maintien à 2 journées de la fin.
Mais qu’est ce que tu veux, l’époque s’intéresse à l’exploit venu d’ailleurs, pas au football.
Je crois qu’en vieillissant je m’intéresse de moins en moins au foot.
Avant les joueurs étaient de adultes plus vieux que moi.
Puis ils sont devenus des jeunes de mon âge.
Un temps, il furent mes proches cadets, qu’on a envie d’épauler.
J’ai désormais 15 ans d’écart avec un jeune sortant d’un centre de formation.
C’est plus dur pour moi de projeter quelque-chose dans ce football qui a changé.
C’est pas mieux
Ou moins bien qu’avant.
C’est juste différent.
Comme moi, et c’est naturel, pas de jugement là-dedans.
Le football répond aujourd’hui aux attentes marchandes du spectacle.
Les salariés sont formés en conséquence.
Ils doivent satisfaire les attentes des clients. On les paye très cher pour ça et ça n’est pas facile.
On peut arguer qu’il est absurde de payer autant de fric à des types pour pousser un bout de plastique
(les ballons ne sont même plus en cuir)
Ils restent des salariés. Précaires qui plus est.
Je les plains pas, ils sont un produit de l’époque.
Tout ça pour dire que je n’en veux pas trop aux jeunes joueurs d’arborer des coiffures atroces, de faire des dribbles inutiles pour Youtube, de porter des pompes de foot hideuses et bariolées.
Juste ça m’intéresse pas. Ça ne me raconte rien. À moi.
Seube restera peut-être le dernier footballeur qui fût un Héros pour moi.
Pas parce qu’il est mieux, ou meilleur
Parce que je ne suivrai peut-être que de trop loin le foot pour apprécier les futurs Héros
Je ne suis plus le coeur de cible.
J’aime Nicolas Seube parce qu’il est vivant.
Il réussit des passes, il en rate d’autres, mais toujours il tente de rester vivant.
Et la vie crée la possibilité de l’accident.
L’accident où le jeu ne se déroule pas comme le script d’une série.
Le mot jeu renvoie à l’enfance, au ludique, au surprenant. Le jeu avec les autres. Pas l’exploit «venu d’ailleurs».
T’as remarqué, avant les jeux vidéos de foot tentaient de ressembler au foot, désormais ce sont les joueurs qui tentent de reproduire des gestes comme dans le jeu vidéo.
Le football se pratique par beau temps, sur des gazons en plastique.
Pour que rien ne vienne contrarier le spectacle.
Putain mais je veux du foot qui sente l’herbe et la pluie.
Où les joueurs se salissent.
Comme dans la vie.
L’autre jour des connards pignaient parce qu’un match avait été joué alors qu’il neigeait.
Donc la météorologie est priée de ne pas venir perturber le bon déroulement des événements.
Tout le monde est presque mort.
Le foot vit à peine.
Sa grotesque cérémonie est partout.
Nicolas Seube joue encore au football.
Il est là qui court encore pour récupérer un ballon
Dans un stade plein ou vide
Sous la pluie, la neige, dans le vent.
Il joue
Il est un héros de la vie.
N. F.
http://alorsnousemettons.wordpress.com/.
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