Le réveil sonne encore et encore.
J’ouvre grand les yeux. Le monde est noir, ou gris très sombre. Je n’en peux plus de cette foutue musique qu’il faudra que je pense à changer alors, à tâtons, je cherche mon téléphone pour la couper qui glisse au bout de mes doigts et termine avec fracas son envolée lyrique. J’ai mal au crâne, je ne comprends pas ce qui m’entoure. Mes neurones sont en panne d’essence. J’ai besoin de café.
Alors tout cela n’était qu’une vaste blague, c’est ça? Un coup tordu de Morphée et Hypnos pour me remettre les pieds sur terre, rappeler que Malherbe, dans son ascension, n’est qu’au tiers de l’Olympe. Soit. Soyons réalistes, pragmatiques et terre-à-terre. Soyons chiants, désincarnons la passion en la voilant de raison et ne rêvons que de possible, d’extension du champ des possibles et d’autres horizons ennuyeux au possible. Au moins nous sommes saufs : Garande est toujours là, l’équipe continue de cartonner et, j’en fais le serment, je n’irai pas au bar ce matin!
Je saute dans la voiture et allume Radio Phénix, c’est l’heure de la matinale de WAM L’Emisson. Dehors, la réverbération immanente me rappelle que malgré tout, la Normandie brille. La voix d’enfant de Steve Savidange emplit l’habitacle.
« … Eh bien Père Poutras était Père Putride aujourd’hui! Tiens d’ailleurs, Père Poutras, savez-vous qui est actuellement septième de Ligue 1? Le Stade Malherbe bien sûr, dont l’ancien entraîneur Patrice Garande fait aujourd’hui les beaux jours de Chelsea. Figurez-vous qu’après l’annonce des convocations par Didier Deschamps de Julien Féret, qui passe là un nouveau cap, Damien Da Silva et Andy Delort, par ailleurs en instance de transfert au Real Madrid, pour la double confrontation face à l’Allemagne et au Brésil, on a appris ce matin les blessures de Rémy Vercoutre et Emmanuel Imorou. Manu qu’on embrasse d’ailleurs! Ou pas. Les deux titulaires indispensables en sont paraît-il venus aux pieds suite au nouveau but contre son camp du latéral gauche normand avec pour issue une rupture des ligaments croisés pour chacun… »
Quoi??? Qu’est-ce qu’il raconte le gamin! Évidemment il a fallu que je sois dans une zone blanche à ce moment précis ! La campagne s’étend sur des kilomètres tout autour, vibrant d’or et de colza. J’appuie sur le champignon, je capte à nouveau mais les nouvelles sont finies et l’habitacle est maintenant tout entier livré aux envolées d’une musique familière. En arrivant au bureau, je me presse vers la machine à café autour de laquelle se sont déjà regroupés les principaux jean-foutre de la boîte, . Parmi eux, Sam me hèle :
– Ah te v’là toi ! Dis, t’es au courant ?
– Oui oui, je sais. Patoche chez les Blues, les convocations, l’embrouille et les blessures… J’ai écouté les Wamtualités dans la voiture.
– Mais c’est du réchauffé tout ça ! s’emballe dans mon dos jean-foutre II, pape de la glande.
Ce dernier me fourre sous le nez la tablette qu’il brandit comme une carte à jouer, puis sa poigne d’acier glace ma nuque d’une injonction mordante.
– Regarde gamin : « Relégation administrative pour les Caennais ». Les finances sont à sec ! A sec bordel !
Il hurle comme un poivrot en manque et, ce faisant, accentue son étreinte. J’en ai la colonne qui craque et le souffle coupé cependant que le Golgoth presse mon visage contre l’interface souillée de sa crasse, que du nez je clique sur une publicité en l’implorant de me lâcher, en gémissant, pleurant presque, n’ayant plus à cet instant pour horizon qu’un lapin tueur de tortues sur fond d’électro obsédante, le tympan fracassé entre le marteau et l’enclume, entre ces notes imbéciles et la netteté absolue, beuglée dans la cacophonie par mon assaillant, de mon club noyé par le succès. « Il ne faut pas jouer les riches quand on n’a pas le sou » chantait Jacques Brel que Malherbe aurait dû écouter. Indemnités de transfert jouées à Pilou-face, revalorisations salariales absurdes pour parer aux sirènes de ce si bel ailleurs, jalousies au sein de l’effectif… Trop d’informations, trop à digérer, trop d’un coup. J’ai le tournis. Je me sens partir.
Tandis que j’étouffe surgissent hilares à l’écran Pat’ Garande et Jean-François Fortin. Ils me montrent du doigt, me fixent droit dans les narines et, tout autour d’eux, tapissant le moindre pixel, apparaît dans toutes les couleurs et dans toutes les tailles le mot « FAKE ».
– Ah la la ! Qu’est-ce que t’es crédule petiot! se marre l’andouille. Ça t’apprendra à écrire n’importe quoi.
Le réveil sonne, inlassablement.