Que de nuits passées à tromper l’ennui, de pages noircies de vide dès l’aube effacées, de rêves inaboutis que le sommeil vient bâcler. La grisaille automnale est un ciel sans étoile et la pluie qui s’abat douche les derniers espoirs. Malherbe a déserté Caen et ne reviendra pas.
Il se murmure dans la ville que c’en est fini. Fini le club, fini le football, finis les moments bénis. La saison des pluies n’est guère celle des sportifs et l’été qui s’achève pleure des adieux humides. Dès lors pourquoi parier sur un automne aride ? E-Gen à sa fenêtre renifle et rumine, ses pensées galopent sur des plaines désertiques, des espaces abandonnés aux reliefs granitiques contre lesquels viennent cogner ses errements journalistiques. Cela fait des mois qu’il n’a plus rien à se mettre sous la dent, pas un match, pas un transfert, pas une anecdote de vestiaire. Le monde se liquéfie sous les assauts quotidiens d’une fureur diluvienne tournée contre lui-même.
Comme trop souvent le voici debout face à la fenêtre, prostré sous le poids des larmes du ciel qui en nombre surpassent les étoiles. Est-il possible que derrière chacune se trouve une légende du football ? Leurs exploits rediffusés à l’infini en holovision ne traversent plus l’horizon chargé, chaque étincelle du firmament s’est éteinte sans incendier le ciel. Déjà l’eau monte dans la rue, encore et encore, délavant la terre, l’expurgeant des ultimes vestiges des anciennes fêtes, quand la vie était haute en couleurs telle qu’elle put chanter l’arrivée d’une ondée. Le stade est désormais plutôt un bassin qu’une arène ; on y nage, on y navigue, on y coule, mais on y joue guère.
E-Gen se tourne vers son interface, regarde sur l’écran défiler ses pensées. Ses mots le blessent plus encore que les eaux. Il devient mauvais, aigri, peu inspiré. Ses phrases, ses paragraphes, ses textes sont un peu de sel jeté dans l’océan : inutiles, pathétiquement inutiles. Il ne sait plus écrire, parler, ni même penser. E-Gen déprime, se laisse tomber dans le canapé et demeure affalé à fixer le plafond auto-luminescent. Un plafond constitué de millions de milliards de bactéries génétiquement modifiées pour émettre une lumière vert pâle, pour être exact. Pourrait-on en trafiquer d’autres pour qu’elles épongent toute la flotte au dehors ? se demande-t-il un instant. L’image de microbes géants gorgés de liquide recouvrant la surface de la Terre l’arrête immédiatement dans ses pensées. Mais qu’est-ce que c’est que ces délires ?
Il bondit vers l’interface qu’il manipule pour en arrêter la commande télépathique, allume le mode « clavier », s’installe et s’étire tout en craquant ses phalanges. Des bactéries peuvent émettre de la lumière : si tel exploit est accessible à si petite chose, que peut-il lui que doivent parasiter des milliards de milliards d’entre elles. La somme de toutes leurs grandeurs doit pouvoir aboutir en lui à quelque chose d’appréciable à défaut d’être énorme. Et pourquoi pas, tiens ? Les fourmis, les cafards, les araignées, les rats, les mouches, toutes ces entités méprisables, négligeables, tous ces petits insectes, ces mollusques, ces invertébrés, ces minuscules petits êtres vivants dénués de raison doivent bien vivre eux, n’est-ce-pas ? Ils doivent se retrouver, se rencontrer, s’affronter peut-être. « Ce sont eux qui ont raison ! » s’exclame E-Gen. « Remettons à la mode ce bon vieil outil désuet, Internet. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. E-Gen sait précisément où il doit chercher. Ses doigts rouillés sautillent sur le clavier pour taper : www.wearemalherbe.com.