Lorsque vous demandez à Patrice Garande quels sont les entraineurs qui l’ont influencé, il citera sans hésitation Jean-Claude Suaudeau car l’actuel coach caennais a eu la chance d’être entrainer par le technicien le plus respecté de France lors de la saison 86/87.
Patrick Dessault, correspondant de L’Équipe, n’a pas encore qualifié le jeu proposé à la Beaujoire de « jeu à la nantaise » mais la philosophie et les principes de jeu sont installés depuis de nombreuses saisons, hérités des années 60 et mis en lumière par José Arribas, poursuivis par Jean-Claude Suaudeau de 1982 à 1988 et de 1991 à 1997 et Raynald Denoueix jusqu’en 2001.
A l’été 86, Transfuge de l’AJ Auxerre, Patrice Garande vient prendre la succession de Vahid Halilhodžić à la pointe de l’attaque des canaris. Hélas l’aventure nantaise du coach caennais s’avère être un échec sportif : 21 matchs, 4 buts seulement. Blessé rapidement en début de saison, il transforme son indisponibilité en opportunité d’observer et d’apprendre auprès de Jean-Claude Suaudeau, un technicien en avance sur son temps.
Trente ans plus tard, Patrice Garande déploie une identité de jeu très marquée depuis le retour de Malherbe en ligue 1 : un bloc bas qui joue la transition. Cette identité rappelle sur certains points l’identité de jeu nantaise appliquée par Arribas, Suaudeau puis Denoueix.
Le jeu à la nantaise c’est quoi ?
Alors qu’aujourd’hui, le public et les journalistes qualifient de « jeu à la nantaise » la moindre action s’enchainant rapidement et en mouvement, cette expression vite adoptée et vite reprise au début des années 1990 qualifie une philosophie bien plus complexe.
D’ailleurs ce terme n’est pas apprécié par Jean-Claude Suaudeau justement parce que ceux qui l’emploient ne savent pas véritablement ce que cela signifie.
Alors le jeu à la nantaise c’est quoi ?
« le jeu à la nantaise, c’est le plaisir de se comprendre, c’est avoir des références communes, qui en anticipant permettent d’interpréter l’action de la même manière pour ensuite agir ensemble efficacement et gagner »
Cette définition ne correspond pas à une organisation ou un système, c’est avant tout une conception globale du jeu où chacun essaie de se fondre dans l’ensemble et fait confiance au partenaire en instaurant des habitudes de jeu entre les coéquipiers.
A la Jonelière, Jean-Claude Suaudeau s’applique à instaurer des réflexes de jeu communs où le mouvement est le socle. La mobilité et la disponibilité constituent l’ADN de l’identité nantaise. Les joueurs doivent se rendre disponible les uns par rapport aux autres et présenter des solutions pour se mettre dans les meilleures conditions pour passer ou dribbler.
Lesjoueurs nantais doivent aimer courir mais surtout être intelligent dans l’interprétation de l’espace et du temps.
On compare souvent le jeu à la nantaise avec le jeu de position observé par exemple à Barcelone sous l’ère Guardiola. Les similitudes sont criantes notamment lors de la phase de récupération du ballon. Jean-Claude Suaudeau fut le premier à concevoir l’attaque dès la récupération du ballon : la transition.
Pour récupérer le ballon, le bloc équipe est compact. C’est une constante à Nantes sous Arribas, Suaudeau et Denoueix. L’espace entre chaque joueur est précis afin de fermer les angles de passes grâce au quadrillage nantais. Le ou les joueurs les plus proches du porteur s’informent de la position des partenaires pour manœuvrer de façon que d’autres récupèrent derrière dans les meilleures conditions. Cette action de pressing oriente la passe adverse dans une zone favorable à la récupération. Toute l’équipe est concernée pour chercher à récupérer le ballon vers l’avant et jouer la transition.
Une fois récupérée, l’idée est de profiter au maximum de ces quelques instants pendant lesquels l’adversaire est désorganisé lorsqu’il perd le ballon, et qui confèrent un temps d’avance à exploiter avec un mouvement d’ensemble vers l’avant.
Lors d’attaques placées, les joueurs cherchaient la supériorité numérique par zone en portant le danger notamment par les couloirs mais aussi avec des interpénétrations à l’intérieur du jeu.
Filou, Coco pouvait même demander à ses joueurs de perdre le ballon volontairement dans une zone précise du terrain pour mettre l’adversaire en difficulté avec un pressing rapide sur le porteur.
A Nantes, le résultat a toujours été décrit comme la conséquence et non comme un objectif. Les conséquences sur le palmarès nantais du passage de Jean-Claude Suaudeau furent les suivantes :
- Champion de France en 1983 et en 1995
- Vainqueur de la Coupe des Alpes en 1982
- Vice-Champion de France en 1985 et en 1986
- Finaliste de la Coupe de France en 1983 et en 1993
- 1/2 finaliste de la Ligue des Champions en 1996
Mais ce n’est pas la galerie des trophées qui est à retenir mais bien la construction de ces victoires qui résonnent aujourd’hui dans notre imaginaire lorsque l’on parle de jeu à la nantaise.
Non le jeu à la nantaise n’a pas disparu. C’est une source d’inspiration pour tous les observateurs de notre sport.
Et lorsque l’on regarde la photo officielle de l’effectif nantais lors de la saison 86/87, on s’aperçoit que l’on retrouve un très grand nombre de techniciens qui ont officié ou officient toujours sur un banc à l’heure actuelle :
De gauche à droite, en haut : Bracigliano, Morice, Anziani, Auneau, Desailly, Le Roux, Der Zakarian, Kombouaré.
Au milieu : Lescaudron (docteur), Zaetta (dirigeant), Denoueix (entr. adjoint), Debotté, Burruchaga, Garande, Frankowski, Olarticoechea, Daguillon (kiné), Suaudeau (entraîneur).
En bas : Bertrand—Demanes, Saint—Guily, Deschamps, Obry, Stéphan, Robert, Amisse, Baronchelli, Marraud.
La présence sur cette photo de Der Zakarian, Kombouaré et Garande, trois actuels coachs de ligue 1, montrent à quel point l’école nantaise a imprégné toute une génération. Jean-Claude Suaudeau n’y est pas étranger.
Du Coco dans le Pastis
J’ai décidé de me lancer dans la rédaction de cet article en lisant un article de Coco Suaudeau qui évoquait comme exercice d’entraînement le jeu du prénom.
C’est un jeu sans ballon où le porteur virtuel doit être touché pour le perdre. Toutes les passes s’effectuent en annonçant le prénom de son partenaire. Les passes doivent être plausibles, courtes sinon l’arbitre stoppe le jeu. Un débat s’installe entre les joueurs : « Pourquoi tu me la donnes ? » « C’était à toi de mieux de te déplacer »… Vitesse, changement de rythme, pressing… Un outil de progression au service du style de jeu nantais.
Et c’est en lisant ces lignes que je me suis souvenu de la première fois où j’ai assisté à un entrainement de Patrice Garande (il y a 15 ans, à Cherbourg). L’As Cherbourg avait délocalisé une séance sur la plage verte et j’étais le seul pioupiou sous la pluie à observer l’entrainement. Mickael Barré, Jean-Marie Huriez et consorts jouaient eux aussi au jeu du prénom avec Patrice Garande comme arbitre.
15 ans plus tard, c’est la révélation, la filiation entre Suaudeau et Garande est indiscutable. Les 11 mois passés en Loire-Atlantique à proximité de Coco Suaudeau ont marqué le coach caennais pour toujours :
« Ensuite, j’ai eu la chance de rejoindre Nantes, entraîné par Coco Suaudeau. Bon, je suis arrivé là-bas, et je me suis blessé au bout de cinq matches. Finalement, c’était presque un mal pour un bien, parce que ça m’a donné l’opportunité d’observer, et d’apprendre. Coco, à l’époque, il avait dix ans d’avance sur tout le monde : le jeu à trois, les déplacements, le jeu de passes… Alors évidemment, je n’essaie pas de copier tout cela, mais je tente de m’en inspirer. »
« Pendant une saison à Nantes, Coco Suaudeau m’a enseigné beaucoup de choses. La façon de faire passer le message ne me convenait pas trop, mais la qualité des entraînements et ce qu’il recherchait, c’était fabuleux. Quand j’ai arrêté ma carrière, j’avais des idées et des convictions. »
Si la ficelle est un peu grosse pour qualifier le jeu caennais actuel de digne héritier du jeu à la nantaise, j’ai relevé deux similitudes :
- Le jeu de transition
- La capacité aérobie indispensable des joueurs
Depuis qu’il a été nommé coach, PG a défini un style de jeu et des fils conducteurs, intégrés dans les exercices entraînements et les matchs et adoptés par les joueurs. Au regard des caractéristiques des joueurs, du budget et de l’objectif de maintien, il a adopté un style de jeu direct et vertical. Ce style n’est pas incompatible avec la philosophie de Suaudeau. En 1995, par exemple, le nombre de passes était très faible : trois-quatre mais pas n’importe lesquelles avec des mouvements rapides portés vers l’avant. L’explosivité et la vitesse des joueurs étaient leurs points forts.
Depuis plusieurs saisons, l’équipe caennaise se veut intense défensivement autour d’un bloc bas et véloce pour gagner les duels et surprendre l’adversaire dans un jeu de transition hypervertical avec très peu de possession.
Source : http://cotestats.fr/2018/03/21/combien-de-temps-dure-vraiment-un-match-de-football/
Comme l’indique le graphique ci-dessus, Malherbe est l’équipe qui a le plus grand nombre de situations de possession par match mais aussi un temps de possession très faible. Il n’est pas surprenant de retrouver Caen placé en haut à gauche, car le SMC est l’équipe qui a les possessions les plus courtes 5,69 secondes en moyenne. Ces chiffres illustrent parfaitement le jeu nord-sud pratiqué. Cette volonté de jouer en attaque rapide lors du jeu de transition est un des points communs avec Nantes.
Cette saison, l’animation offensive caennaise est certes moins performante mais n’oublions pas le rendement de la saison 2014/15 : 4ème attaque de Ligue 1 avec 54 buts. Grâce à une mobilité importante, au moment où le ballon était récupérée, les joueurs malherbistes arrivaient en nombre à pleine vitesse pour porter le danger. Un joueur comme N’golo Kanté (box to box) a permis cette réussite :
Pour réaliser ce projet de jeu, les joueurs de Patrice Garande, comme ceux de Coco Suaudeau, sont donc des joueurs qui doivent aimer courir avec une capacité aérobie importante. Arribas-Suaudeau-Denoueix utilisaient des entraînements permettant le développement de la VMA.
Cette VMA est indispensable aux joueurs caennais. D’ailleurs depuis début janvier et le choix fort de PG de privilégier une densité axiale plutôt qu’une animation par les couloirs (exit Bazile-Kouakou-N’kololo-Repas) on s’aperçoit que la faible mobilité de Peeters et Bennasser rend le jeu de transition beaucoup moins efficace. L’effectif caennais ne dispose pas de joueurs box to box. Bennasser a par exemple tiré une seule fois dans la surface depuis le début de la saison pour 16 frappes en dehors de la surface :
Egalement, les efforts physiques demandés par un tel plan de jeu expliquent la baisse de régime des joueurs caennais une fois l’heure de jeu dépassée. Cette saison, lors de la réception de Marseille ou lors du déplacement à Lyon, malgré un score défavorable, les joueurs caennais peinent à trouver un second souffle en fin de match. Cette difficulté subsistera toujours.
Conclusion
Il y a du Coco dans le pastis c’est certain. Patrice Garande a eu une carrière riche de rencontres auprès de techniciens réputés : Suaudeau, Roux, Herbin, Mankowski…
Il a indubitablement été une éponge auprès de ces derniers, prenant ce qu’il y avait de bons et écartant ce qu’il a considéré comme moins bon.
Après avoir été coaché par Guy Roux à l’AJA, Patrice Garande s’est retrouvé en situation d’échec à Nantes. Même s’il aimait beaucoup courir du fait du marquage individuel prôné par l’entraineur bourguignon, il n’a pas su s’adapter au jeu nantais. Pour réussir, il aurait fallu qu’il désapprenne beaucoup de choses.
Mais l’échec étant une forme d’apprentissage, Patrice Garande a appris et enseigne maintenant du coco à Venoix.
Qui l’eut cru.
@statmalherbe
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