Depuis le début de saison, Caen se crée très peu d’occasions quantitativement et qualitativement. Avec 3,16 but attendu, elle se classe 15ème de ce classement de ligue 2 probabilisant les chances de réussite de scorer.
Dans le jeu, les caennais éprouvent les pires difficultés à faire progresser le ballon jusque dans la surface adverse malgré un temps de possession convenable avec une possession de balle supérieure à 53%.
Le SMC va privilégier les attaques positionnelles plutôt que les attaques rapides. Depuis le début de saison, on dénombre seulement 2 attaques rapides !
Au sein d’un 3-5-2 réputé pourtant inefficient pour des attaques placées mais idéal pour du jeu de transitions, le jeu de passes caennais est un essuie-glace quasi perpétuel efficace pour balayer une bruine normande mais improductif pour déséquilibrer un bloc équipe de L2.
Ci-dessous une très belle illustration de l’essuie glace :
La finalité du football est d’inscrire un nombre de but supérieur au nombre de but concédé dans un temps contraint sur une surface rectangulaire où l’horizontalité rencontre la verticalité.
Rui Almeida lors de sa présentation officielle : « On veut être compétitif, on veut être agressif, on veut être vertical. Je fonctionne beaucoup sur la verticalité. Si on peut arriver au but adverse avec deux passes, on va arriver avec deux passes »
https://www.footnormand.fr/actualites/sm-caen/si-peut-arriver-jusquau-adverse-en-deux-touches
Les statistiques avancées permettent aujourd’hui de mesurer les mètres parcourus par une passe. Ainsi l’outil Wyscout identifie les parcours progressifs c’est à dire les passes ou courses qui font avancer le ballon considérablement vers l’avant.
L’exigence minimale pour une évolution progressive vers le but est la suivante :
- 30 mètres, si les points de départ et de fin se trouvent sur son propre terrain
- 15 mètres, si les points de départ et de fin se trouvent dans des camps différents
- 10 mètres, si les points de départ et de fin se trouvent dans le terrain de l’adversaire
Ci-dessous le classement en relief des parcours progressifs :
73 Auxerre
72
71
70
69
68
67
66
65
64
63 Châteauroux
62
61 Ajaccio
60
59
58
57 Grenoble Foot 38
56 Troyes
55
54
53
52
51 Niort
50
49
48 Lorient
47 Orléans
46
45 Lens et Clermont
44 Nancy, Valenciennes et Guingamp
43 Le Havre
42
41
40
39 Rodez
38
37
36
35
34 Paris et Sochaux
33 Le Mans
32
31
30 Chambly
29
28
27
26 Caen
Malherbe est l’équipe qui fait progresser le moins le ballon en Ligue 2. Seulement 26 parcours progressifs ont été recensés.
Cette mise en relief permet de mesurer l’énorme écart existant entre l’équipe qui se classe 1ère de ce classement Auxerre et Caen. Le ratio est de x 2,8 : Auxerre fait progresser le ballon trois fois plus que Malherbe.
En résumé, nous observons surtout de l’horizontalité mais pas ou peu de verticalité.
Un bloc équipe trop bas
Un des premiers facteurs empêchant une construction verticale est la hauteur du bloc équipe. Les malherbistes démarrent systématiquement leur match par un bloc bas sur le terrain.
Comme le démontre le graphique ci-dessus, Caen entame ses matchs très prudemment notamment à domicile, avec ses défenseurs jouant très proches de son but.
Weber dénominateur commun de la construction
Sans le ballon, les adversaires laissent volontiers les joueurs du SMC sortir proprement le ballon en n’appliquant qu’un léger pressing haut sur le terrain.
Pour construire et faire avancer le jeu, Rui Almeida a confié la responsabilité de faire avancer le l’équipe à Anthony Weber. C’est le dénominateur commun des sorties de balles et de la construction basse.
Il faut dire que l’ancien défenseur brestois a un pedigree qui trahit ses qualités : il est le défenseur ayant réalisé le plus de passes en L2 ces 3 dernières saisons : 5 055
https://twitter.com/OptaJean/status/1153288389908750336?s=09
Il est donc le premier relanceur désigné et va se signaler par ses passes ou par ses percées balle au pied. Il n’hésite pas à prendre ses responsabilités et avancer pour créer une supériorité numérique avant de délivrer une passe cassante tél un défenseur central moderne.
Les deux autres excentrés alignés à côté de Weber souffrent de la comparaison notamment axe gauche avec Pape Diaw et Jonathan Rivierez. Malgré certains espaces devant eux, ils prendront moins de responsabilités car se sentant peu à l’aise balle au pied. Anthony Rivierez en est le parfait exemple contre Chambly. Droitier, aligné axe gauche, il a éprouvé les pires difficultés à se mettre en confiance pour courir vers l’avant avec le ballon.
A sa décharge son rôle avec Metz la saison passée n’était pas celui-ci. Il était utilisé comme latéral.
L’influence importante d’Anthony Weber pose question sur le rôle de Jessy Pi dans l’animation offensive. Ce dernier est positionné comme sentinelle du triangle de milieux axiaux. Un triangle à point basse où les qualités de l’ancien monégasque semble faire doublon avec celles d’Anthony Weber. Son match face à Chambly illustre l’influence trop faible de Jessy Pi sur le jeu. Il a touché seulement 40 ballons.
Malgré des déplacements nombreux en première période, il aura su libérer de l’espace pour qu’Anthony Weber cherche de la verticalité mais il aura peu été servi. Surement frustré, ses déplacements se sont raréfiés decrescendo avant d’être remplacé autour de l’heure de jeu.
C’est dommage car il peut être une ressource clé pour délivrer des passes astucieuses comme sur les exemples ci-dessous où ils créent le déséquilibre c’est à dire que les défenseurs courent vers leur but après une passe tentée entre le défenseur central et le latéral adverse.
Son utilisation est aujourd’hui trop propre. Jessy Pi est dans une zone de confort, son potentiel est sous exploité.
Deux circuits de passes préférentiels sont identifiés
Le 1er circuit observé est un circuit en U de la première ligne de joueurs où les défenseurs axiaux redoublent de passes latérales entre eux sans passes sautées.
Ils ne se précipitent pas pour trouver le piston extérieur qui colle à la ligne de touche. Même si ce dernier est disponible, ils vont rarement le trouver lors d’une première intention. C’est après plusieurs allers-retours, qu’Anthony Gonçalves ou Yoel Armougom seront trouvés.
Ils seront trouvés par l’excentré le plus proche, rarement par l’axe centre (A. Weber). Les passes sautent rarement le partenaire le plus proche.
Lors du match contre Chambly le jeu a surtout état porté côté droit. Anthony Weber et Younn Zahary ont en effet touché beaucoup plus de ballons que leur compère Jonathan Rivierez : 91 et 92 ballons contre 56. Ainsi Yoel Armougom a touché seulement 51 ballons contre 96 pour Anthony Gonçalves.
Le second circuit laisse enfin entrevoir un début de verticalité grâce à la disponibilité de Jessy Deminguet, aligné relayeur faux pied axe droit contre Chambly. Il a touché 76 ballons contre 36 pour Sankoh.
Ci-dessous la matrice des combinaisons de passes :
Jouer de half space, le lexovien sait très bien interpréter l’espace disponible pour faire progresser le ballon. Doté d’une bonne caisse (il dépasse les 12 km parcourus au cours d’un match), Jessy répète les efforts avec une bonne intensité. Comme le souligne Guillaume Lainé, Jessy a un potentiel vraiment intéressant.
Une mauvaise orientation du corps et du champ de perception
Un des points négatifs pourtant observés est pourtant la mauvaise orientation de son corps à la réception d’une passe. Comme Baissama Sankoh, face à Chambly, il a été aligné faux pied en n°8 surement pour adresser des passes vers l’intérieur du jeu ou réaliser des renversements. A la réception des passes d’Anthony Weber et Anthony Gonçalves surtout (respectivement 10 et 11 passes), son orientation n’a pu permettre de faire progresser le ballon. Il a plutôt été contraint par sa mauvaise gestuelle à effectuer une passe vers l’arrière en retour vers l’émetteur de la passe.
La correction de son orientation et c’est vrai pour tous les joueurs caennais pourrait permettre dans l’avenir de franchir la seconde lignée de pression car malgré les tentatives de passes verticales, la progression obtenue a été annulée par le geste suivant empêchant toute progression du ballon.
L’orientation du corps et du champ de perception n’est pas neutre dans notre sport. Elle est primordiale notamment dans un jeu positionnel. La preuve en images avec une vidéo d’un des premiers entrainements supervisés par Pep Guardiola avec le FC Barcelone en 2007 et avec Man City.
Jessy Deminguet est le joyau de la couronne caennaise, contre Chambly il a pu démontrer tout son bagage technique avec notamment cette passe cachée :
Son confrère relayeur, Baissama Sankoh, éprouve des difficultés à interpréter l’espace pour offrir une supérieure numérique lorsqu’il est devant le ballon. On constate qu’il n’existe pas de déplacements perpétuels pour offrir une ligne de passe aux défenseurs centraux comme Weber.
Il n’existe pas compensation verticale ou horizontale combinée avec Jessy Deminguet ou Jessy Pi même sans demander le ballon, juste pour créer de l’espace. Le petit jeu caennais est inexistant que ce soit par un manque positionnel car les distances entre les milieux sont trop grandes mais aussi par le manque d’assurance technique.
Le déchet technique
Si Jessy Deminguet a pris le pouvoir au sein du milieu caennais, en vampirisant un grand nombre de ballons, ses compères offensifs sombrent match après match avec un déchet technique beaucoup trop important pour espérer bien figurer dans ce championnat.
Le nombre d’actions réussis par certains joueurs est beaucoup trop famélique :
Chez les défenseurs axiaux, Jonathan Rivierez est le joueur qui réussit le moins d’actions. Chez les pistons, Anthony Gonçalves tire son épingle du jeu contrairement à Yoel Armougom et Adama Mbengue, très en retraits. Chez les milieux, l’échantillon est faible pour Durel Avounou est souvent en échec. Quant aux attaquants, seul Malik Tchokounté affiche un ratio supérieur à 50%.
Vite du renfort, svp
En résumé, les circuits de passes sont hélas trop concentrés entre les défenseurs et malherbistes avec un circuit en U sur la largeur du terrain avec peu de diagonale ou pénétration axiale. Une stratégie qui se révèle inopérante car les mouvements sont beaucoup plus prévisibles pour la défense.
Les adversaires défendent parfaitement en occupant d’une certaine manière l’espace et/ou en appliquant un pressing d’une certaine manière pour encourager les passes vers des zones et des maillons faibles (vu par exemple contre Lorient)
L’arrivée d’un ou de plusieurs renforts dans le secteur offensif conditionne les futurs succès. Sans ces derniers, la recherche du déséquilibre positionnel ou qualitatif (et non numérique) voulue par Rui Almeida n’aboutira jamais.
Et c’était comment à Troyes ?
Le projet de jeu du portugais semble assez proche du projet de jeu vu à Troyes. Là-bas, la réputation du coach portugais s’était vite dégradée au fil des rencontres. S’il a su hisser son équipe jusqu’en barrages d’accession, sa cote de popularité a chuté de manière inversement proportionnelle malgré une série de 14 matchs sans défaites pour clôturer la saison régulière dont 10 avec l’installation du fameux 3-5-2.
Mais les résultats ne suffisent pas et le contenu avait fait de nombreux mécontents.
Troyes s’était avant tout reposé sur son réalisme dans les surfaces que ce soit par l’intermédiaire des nombreux buts inscrits sur CPA ou par les performances de leur gardien Samassa.
Troyes affichait un bloc bas-médian. Les aubois étaient très prudents en gardant un reste à défendre conséquent pour une faible recherche de supériorité numérique dans le camp adverse. Troyes minimisait les risques mais ne s’offrait que trop peu d’opportunités. Ainsi Troyes était l’équipe qui tirait le moins au but en ligue 2 la saison passée.
Bis repetita ?
L’histoire semble se répéter. Le système choisi en ce début de saison est identique à celui de la fin de saison troyenne, et les indicateurs de performance sont semblables : peu de tirs, circuits de passes, faible pressing…
Mais doit-on pour autant jeter aux orties ce projet de jeu et critiquer (trop) hâtivement le jeu caennais ?
Le débat entre beau jeu et résultat est de nouveau ouvert. Le contenu est-il supérieur aux résultats ? Si la remontée doit passer par un projet de jeu peu spectaculaire mais gagnant, doit-on le jeter aux orties ?
La beauté de notre sport est qu’il y a mille façons de remporter un match. La façon de Rui Almeida peut-être la nôtre.
Si le projet de jeu semble être celui que nous supposons (on peut se tromper), Rui Almeida a abouti à sa conclusion en fonction des forces vives du club et force et de constater que le diagnostic réalisé ne devait pas être reluisant.
L’effectif à disposition est un véritable puzzle avec des pièces manquantes.
Aujourd’hui nous assurons nos passes et nous minimons les risques. Nous ne surjouons pas parce que nous jouons selon nos qualités. Si elles avaient été plus nombreuses ou plus qualitatives, le projet de jeu aurait pu être différent.
Celui-ci va évoluer au fur et à mesure des semaines. Des corrections amélioratives vont être apportées au fil des séances car la vérité d’août n’est pas celle de septembre et encore moins celle de mai.
Le ciment est encore frais. Rui Almeida sera suffisamment intelligent pour ne pas s’enfermer si les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Tout est dit