Episode 8 : « Du rouge, du bleu, des rayures, Le Somptier : des mythes en marche»
Ami lecteur qui manie la langue de Rabelais comme Zidane la roulette, je te salue !
Auréolée d’un parcours probant en 1903, l’équipe du lycée Malherbe s’apprêtait à vivre un millésime moins flamboyant en 1904. Ne pouvant compter que sur les seuls lycéens, l’UALM subit une véritable hémorragie dans son effectif : Neyreneuf, Guesdon et Digoit partirent jouer avec les étudiants de l’ASEC, tandis que Blescher choisit de rejoindre le Club Sportif Caennais. En conséquence, faute d’aligner une équipe complète à chaque fois, l’UALM ne put défendre son titre d’un championnat qui prit pour la première fois le nom de « championnat de Basse-Normandie ». En guise de compétitions, les lycéens participèrent uniquement à une toute nouvelle épreuve réservée aux équipes caennaises : le « challenge Bourdon », ainsi qu’au championnat interscolaire. Le 22 novembre 1903 reste cependant une date à graver dans le marbre. Ce jour-là, le jeune Eugène Le Somptier inscrivit un doublé en amical contre l’équipe B du CSC (4-1). Déjà, les commentateurs louèrent le jeu de ce jeune avant-centre d’à peine 16 ans, dont nous aurons l’occasion de reparler. Mais surtout, toujours sur le terrain de la Prairie, eut lieu un match entre l’ASEC et le CSC comptant pour le challenge Bourdon. Si le score fut sans appel (4-0 pour les étudiants), l’intérêt historique de la partie est à chercher du côté des équipements, puisque les joueurs du CSC arborèrent pour la première fois une chemise rayée verticalement bleue et rouge. Conçu à l’origine comme deuxième maillot, ce paletot connaitra évidemment le fabuleux destin identitaire que l’on sait. Le club « des bleus et rouges » fit d’ailleurs une saison fort honorable. Emmenés par leur avant-centre Ménard, les joueurs du CSC disposaient surtout d’une solide assise défensive avec l’excellent gardien Mahouin et deux défenseurs très physiques, pratiquant également le « football rugby » au club ; Varé à droite, et Bonaparte, toujours impérial, sur l’autre flanc.
Dans une formule à huit équipes et en matchs allers-retours, le championnat fut marqué par l’émergence d’une rivalité âpre entre les clubs caennais et ceux du Pays-d’Auge. Sur la Prairie, une rencontre entre le CSC et Trouville fut qualifiée de « dure », voire de brutale. Ainsi, le CSC reçut-il un accueil particulièrement houleux à…Trouville pour y affronter Pont-L’Evêque. Sur le terrain de polo, face à un public qualifié « d’odieusement partial » par le Journal de Caen, les Caennais l’emportèrent néanmoins 2 à 1 grâce à deux coups francs de leur valeureux capitaine, Henry Prestavoine. Sur le terrain de Cormelles, on rapporte également que le jeu devint « peu courtois » entre l’ASEC et Honfleur. Albert Berger fut même blessé en deuxième mi-temps, tandis que le match fut sujet à des réclamations de part et d’autre. Cependant, grâce à un excellent Digoit, l’ASEC fut vainqueur par 3 buts à 1. En se rendant ensuite sur le terrain de Trouville pour y affronter l’équipe locale (victoire 4-1 de l’ASEC), les étudiants firent face à des « spectateurs enragés », selon la presse caennaise. En gagnant l’ensemble de ses matchs, l’ASEC se qualifia pour la finale du championnat, disputée contre son dauphin honfleurais à Trouville. La finale fut jouée dans un état d’esprit nettement plus sportif que les précédentes joutes et vit la victoire des étudiants sur le score de 3 buts à 2, grâce à des réalisations de Lefranc, Digoit et Berger. L’ASEC inscrivait ainsi son nom au palmarès pour la deuxième fois, après 1901. Ce résultat lui permettait en outre de se qualifier pour les phases éliminatoires du championnat de France. Le niveau de jeu entrevu lors des matchs régionaux laissait présager de belles promesses face au champion de Bretagne : le Stade Rennais. Le 20 mars 1904, le match ne se déroula pas encore à la MMArena du Mans, mais eut lieu dans l’autre grande ville historique du Maine : Laval. En dépit d’une nette domination et d’un jeu qualifié de « merveilleux » lors de la première demi-heure, les Normands se firent finalement surprendre à quelques minutes de la fin et perdirent bien injustement la rencontre sur le score de un but à zéro. Las, handicapés par un voyage éprouvant de 5 heures dans des wagons de 3e classe, les Caennais furent apparemment gênés par le mauvais état du terrain (en pente, avec des bosses) qui ne permettait pas leurs combinaisons habituelles. D’autre part, l’arbitre (un…Rennais du FC Rennes) ne fit pas toujours preuve de l’impartialité requise au goût des Normands.
Désormais, l’ASEC se présentait indéniablement comme l’équipe à battre en Basse-Normandie, d’autant qu’elle pouvait compter sur l’apport de l’Anglais Clarck. Vainqueurs de la finale du challenge Bourdon face à l’UALM (4-0), les étudiants confirmèrent ainsi leur statut en championnat contre la Normalienne, l’UALM, le CSC et Coutances, mais ils firent face à une sérieuse opposition de la part de l’équipe de l’US Trouville. Le match de championnat à Caen confirma les tensions entrevues la saison précédente. Sur leur nouveau terrain de la route de Ouistreham, qu’ils partageaient avec le CSC, les joueurs de l’ASEC ne parvinrent pas à faire la décision dans une rencontre crispée. Légèrement blessés en première période, deux joueurs caennais durent quitter la pelouse. Devant le refus des Trouvillais d’accepter les remplacements, les « mauves et noirs » durent se résigner à terminer la partie à neuf ! 0-0 score final, non sans que le capitaine des « maritimes » ne se fît remarquer par l’emploi de quelques paroles « discourtoises » à l’encontre de ses adversaires et des spectateurs présents. De fait, la finale du championnat mit aux prises ces deux mêmes équipes le 12 mars 1905, mais sur le terrain trouvillais cette fois-ci. Ayant à déplorer de nombreuses absences, les joueurs de l’ASEC s’inclinèrent, hélas pour eux pour la première fois de la saison, sur le résultat étriqué de deux buts à un. Avec cette victoire chèrement acquise, le championnat échappait pour la première fois à une équipe caennaise ! Etudiants et lycéens de Malherbe pouvaient-ils se permettre de lâcher leur hégémonie sur le football régional ?
A suivre.
FDM
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