« 1911-1913 : de Malherbe à…Malherbe »
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Histoire de la création du Stade Malherbe Caennais
Si la fusion du Club Malherbe Caennais avec le Club Sportif Caennais fut l’acte originel par lequel le Stade Malherbe Caennais fut porté sur les fonts baptismaux du sport normand, la section footballistique qui en était le pivot a bel et bien eu pour racine le projet énergique qui fut instigué par les dirigeants du CMC. Se pencher sur les circonstances de l’enfantement de notre cher club centenaire revient à interroger l’identité de Malherbe, à laquelle les Caennais sont viscéralement attachés, et qui se trouvait déjà incarnée par le club au paletot à rayures noires et blanches entre 1907 et 1913. L’hégémonie régionale d’une équipe redoutable, aspirant à un destin national, constitua la matrice de la naissance du Stade Malherbe. Plus que d’une fusion, il faudrait évoquer l’absorption d’un club de plus en plus moribond dans la pratique du football (le CSC) par un autre d’une vitalité étonnante. Cette histoire passionnante ne saurait donc faire l’économie de la narration de l’épopée du CMC, déjà entamée dans les épisodes précédents. Quel fut le contexte de cette belle aventure ?
A l’automne 1911, le CMC s’apprêtait à entamer sa cinquième année d’existence. Née au lycée Malherbe, avec lequel elle restait étroitement liée (tous les lycéens faisant partie de droit du CMC), la nouvelle entité pouvait se targuait de brillants résultats, doublés d’une solide réputation qui commençait à franchir les limites de la Basse-Normandie. Qu’on en juge par ce rappel statistique : triples champions consécutifs de Basse-Normandie (1908-1909-1910), lauréats du challenge Bourdon dans le même intervalle, les « noir et blanc » venaient en outre d’accrocher en match amical les Anglais de Saint-Albans au printemps précédent, grâce à un match nul homérique (1-1) au Parc de l’Hôpital. Deux de ses plus illustres représentants (Maurice Parat et Eugène Le Somptier) avaient par ailleurs connu les honneurs de sélections dans l’équipe du Nord de la France. Seule ombre au tableau : la perte récente du titre régional face à l’AS Trouville-Deauville. Les Caennais étaient donc bien résolus à entamer cette nouvelle saison avec la ferme intention de prendre leur revanche contre le rival de la Côte Fleurie. Soulignons qu’au tournant des années 1910, l’essor du football était déjà une réalité patente. Pratiqué à l’origine par des citadins, le jeu se vulgarisait dans les zones rurales, ce qui accentua le nombre de clubs. Pour le championnat, les modalités suivantes furent entérinées par le comité de Basse-Normandie : il y aurait deux groupes de quatre équipes. Les trois premières des matchs allers s’affronteraient au retour (les deux quatrièmes devant jouer un barrage contre les deux premiers de 2e série), et la finale aurait lieu à Caen sur terrain neutre. Place au jeu !
Evoluant depuis une saison sur son terrain du boulevard Leroy, le Club Malherbe entendait optimiser sa préparation avec plusieurs matchs amicaux. Le Patronage Laïque Havrais était le premier adversaire de marque à venir se frotter aux coéquipiers de Le Somptier. Fait notable, le défenseur « international » Schalbart, sociétaire de l’US Clichy, joua dans les rangs du CMC avec lequel il s’entraînait en cet automne 1911. Si les guillemets peuvent paraître superflus au lecteur, nous nous devons de rappeler le contexte tourmenté dans lequel évoluait l’équipe nationale de football à cette époque. Depuis mai 1910, c’est en effet le CFI (Comité Français Interfédéral) qui constituait le seul pouvoir dirigeant du football français aux yeux de la FIFA. Cette situation résultait de la vive rivalité entre la jeune et ambitieuse fédération des patronages de France et l’omnipotente et historique USFSA fondée par Pierre de Coubertin. Ainsi, après que l’USFSA eût décidé de claquer la porte de la FIFA en 1908 (parce qu’elle soutenait la demande d’affiliation de l’Amateur Football Association anglaise, émanation d’une scission au sein de la FA en 1907), Charles Simon, président du CFI (qui s’appuyait principalement sur la FGSPF, organe des patronages catholiques, très puissant dans l’Ouest de la France), fit preuve d’opportunisme en sollicitant l’admission de sa fédération auprès de la FIFA. En conséquence, deux équipes de France coexistèrent jusqu’en janvier 1913, date du ralliement définitif de l’USFSA au CFI et prélude à la future FFFA qui sera fondée en 1919. De ce fait, il n’est guère possible de trouver trace de « capes » pour Schalbart dans les archives de la FFF, puisque l’US Clichy (ainsi que le Comité de football de Basse-Normandie) était affilié à l’USFSA pendant ces années singulières. Cette situation provoqua d’ailleurs quelques imbroglios. Par exemple, une des premières grandes vedettes du football français, le gardien Pierre Chayriguès, fut au centre d’une de ces polémiques, étant donné qu’il évoluait à la fois sous l’égide des deux fédérations ennemies, soit avec l’US Clichy, soit avec le Red Star (où un de ses plus illustres coéquipiers n’était autre qu’Eugène Maës, le goléador des « Bleus »), selon l’importance des matchs ! Mais revenons au CMC, dont les prestations de l’automne auguraient déjà de la formidable puissance de frappe. Nettement dominés dans le jeu, les Havrais durent s’incliner devant un doublé de l’inévitable Eugène Le Somptier. La semaine suivante, malgré une équipe « mixte », les noir et blanc allèrent s’imposer sur le terrain d’Alençon (7-0). Peu après, la Jeunesse Laïque Caennaise et l’USA Lisieux se firent littéralement étrillées sur la pelouse du boulevard Leroy sur les scores sans appel de 12 et 14 à 0 ! Enfin, une semaine avant le début du championnat, le CMC, avec Schalbart dans ses rangs, se joua des Honfleurais sur leur terrain sur la marque de 6 buts à 2. La parfaite préparation de l’équipe faisait entrevoir un jeu bien huilé. Dans le traditionnel schéma tactique « en pyramide » de l’époque (le fameux « 2-3-5 » élaboré en Angleterre dans les années 1880 et qui ne serait détrôné que par le non moins fameux « WM » mis au point par Chapman à Arsenal et magnifié par les équipes « danubiennes » des années trente), l’ossature du Club Malherbe Caennais s’articulait ainsi en début de saison : Bordarier dans les « bois » – Piton et Etier en défense – Lemoine, Vromet et Jardin au milieu – Hay, Digoit, Le Somptier, Chérencey et Fontaine en attaque. Les retours de Chérencey et de Digoit dans leur bonne ville de Caen assuraient un complément idéal au capitaine Le Somptier, tandis que Vromet, en demi-centre, rappelait aux observateurs le jeu de Parat, ce qui n’était pas un mince compliment. Sur son aile, Hay commençait à se faire une solide réputation de centreur. Fort d’une centaine de sociétaires, le CMC disposait d’une équipe B, mais aussi d’une équipe de « football-rugby », alors que l’UALM conservait sa propre équipe pour le championnat interscolaire, mais dont les lycéens pouvaient le cas échéant alimenter les équipes du CMC. Les rencontres à domicile des lycéens se jouaient naturellement sur la pelouse du boulevard Leroy. Quoiqu’il en fût, CMC et UALM étaient déjà « Malherbe » dans les comptes-rendus de la presse locale et ce « label » était jalousement revendiqué.
Pour ce qui est du championnat de 1ère série, le CMC serait opposé cette saison à trois équipes manchoises (le SC Coutances, l’Alpha et la Stella de Cherbourg), tandis que l’autre poule mettrait aux prises le Club Sportif Caennais, le SC Bernay, l’AS Honfleur et l’AS Trouville-Deauville, qui inaugurait la saison sous ses nouvelles couleurs : un maillot rayé noir et vieil or. Dans le groupe A, force est de constater que les équipes du beau département de la Manche ne furent pas en mesure d’inquiéter sérieusement le Club Malherbe. Le gardien coutançais dût même aller chercher à dix-sept reprises le cuir au fond de ses filets (désormais obligatoires pour le championnat régional) le 26 novembre 1911 ! Si les clubs cherbourgeois résistèrent un petit mieux ; cela ne fut cependant pas suffisant, puisque l’Alpha encaissa un cinglant 6-1 sur son terrain (alors que les Caennais avaient aligné sur la pelouse une bonne moitié de remplaçants) et que la Stella s’inclina 4-0 sur la pelouse du boulevard Leroy, où un but de Le Somptier compléta le magnifique triplé de Chérencey. En revanche, les matchs retours furent nettement plus calamiteux pour les nord-Cotentinois (défaites 1-10 pour la Stella et 0-9 pour l’Alpha !). Dans l’autre groupe, le Club Sportif Caennais proposa aux Trouvillais une opposition plus digne d’intérêt (défaites 1-3 en terre augerone et 1-2 au Clos des Coutures) ; néanmoins, la revanche attendue de la finale précédente s’esquissait déjà et enthousiasmait par avance les amateurs de sport normands…
En attendant, les toujours excellentes prestations du capitaine Eugène Le Somptier lui valurent une nouvelle convocation au sein de l’équipe du Nord de la France (USFSA) pour le match Nord-Sud du 17 décembre 1911 joué à Marseille. Ce match était destiné à compléter éventuellement l’équipe de France (avec Schalbart, donc) qui affronterait l’équipe d’Angleterre (AFA) le 1er janvier 1912. Le vaillant capitaine malherbiste fut même l’un des seuls joueurs de son équipe à recevoir les louanges des observateurs présents à Marseille ce jour-là, en dépit d’un terne match nul. Appelé en compagnie, notamment, de trois joueurs du FC Rouen, Eugène et son équipe purent d’ailleurs mesurer le chemin qu’il leur restait à parcourir pour rivaliser avec les meilleures équipes nationales, puisqu’un match amical contre l’ogre du comité de Haute-Normandie avait justement été programmé le 10 décembre 1911 à Rouen. Les « Rouges », auteurs de la surprise de la saison précédente du fait de l’élimination du grand favori du championnat de France, l’Olympique Lillois, constituaient un étalonnage idéal pour les Caennais. Robert Diochon était aligné en défense, tandis que son frère évoluait au poste de demi-centre. Las, sur le terrain adverse, les noir et blanc furent balayés sur le score de 8 à 0 ! Il faut dire que les Malherbistes commencèrent la rencontre à dix pendant les dix premières minutes et que les Rouennais en profitèrent pour prendre un départ tonitruant : Dunford marquait le premier but après 30 secondes de jeu seulement, tandis que Tidswell enfonçait le clou dès la minute suivante. La partie des Bas-Normands était déjà nettement plombée ! Malgré un troisième but encaissé, les Caennais ne se décourageaient pas et reprenaient de l’ardeur en touchant par deux fois la barre transversale. 3-0 à la mi-temps. La seconde période confirma cependant les carences malherbistes contre un adversaire de ce calibre. Mais elle rappelait aussi l’origine aristocratique de ce sport de gentlemen. Ainsi, alors que le score était toujours de 0-3, l’arbitre siffla-t-il un pénalty en faveur de Caen pour une faute que personne ne trouva évidente. Qu’à cela ne tienne, Le Somptier s’empara du cuir et le botta volontairement à côté du but ! Nonobstant la supériorité rouennaise et l’incapacité à sauver l’honneur, les observateurs louèrent le courage et l’entrain de la formation caennaise, en dépit de la lourde défaite 8 à 0. Encore un peu tendres contre les toutes meilleures équipes de « l’Hexagone » (auquel il manquait encore cependant l’Alsace et la Moselle à cette date), les joueurs du président Détolle restaient en revanche incontournables dans leur région. En effet, pas moins de huit d’entre eux furent convoqués pour représenter l’équipe du comité de Basse-Normandie contre son homologue de Paris pour le compte de la Coupe Inghram (parfois orthographié Ingram). Il s’agissait d’une compétition organisée par l’USFSA, mettant aux prises les différents comités régionaux. Les Parisiens ne firent pas de quartier en marquant à quatorze reprises dans les buts du Trouvillais Lucas, sans encaisser un seul but en retour…
L’équipe de Basse-Normandie (1912).
De gauche à droite : Bourgeois (CSC) – Lucas (ASTD) – Vromet (CMC) – Le Somptier (CMC) – Piton (CMC) – Digoit (CMC) – Fontaine (CMC) – Verjat ( ?) (CMC) – Bienne (CMC) – Davy ( ?) (ASTD) et Lemoine ( ?) (CMC).
© Archive collectée dans le cadre de Malherbe 1913, ouvrage collectif paru aux éditions Myths en 2013.
Par ailleurs, et toujours en quête de parfaire ses automatismes, le CMC accueillit le Stade Lavallois le 21 janvier 1912. En dépit de cinq absents, les Caennais prirent le dessus sur les Mayennais en s’imposant 2-0. Assurément de bon augure afin de préparer la finale qui les opposeraient, personne n’en doutait, à l’AS Trouville-Deauville. Effectivement, le grand rendez-vous du football régional était prévu pour le 11 février 1912. La finale se joua boulevard Leroy, à la demande expresse des Trouvillais, qui considéraient cette pelouse comme le « meilleur ground » caennais, mais donnaient par là-même un avantage certain au Club Malherbe ! Cependant, les Trouvillais s’employèrent à donner du « fil à retordre » à l’équipe hôte, d’autant que les Caennais présentaient une équipe très proche de l’équipe-type. A noter, la promotion de Victor Mullois, évoluant d’ordinaire avec l’équipe B, au poste « d’extrême-droit ». Le match fut indécis et il fallut recourir à une prolongation afin de départager les deux équipes qui étaient à trois buts partout à la fin du temps règlementaire. Chérencey s’offrit alors un doublé (à l’instar de Le Somptier dans le temps règlementaire) qui permit aux Malherbistes de venir à bout de valeureux Trouvillais (5-3) et de reprendre ainsi à ces derniers le titre de champion de Basse-Normandie, le quatrième en cinq saison pour le club phare de la cité ducale. Très en vue au cours de la rencontre : Piton à l’arrière, étincelant de sécurité, et Hay en attaque, qui multiplia les offrandes à ses partenaires. L’hégémonie du CMC sur le football régional était par ailleurs renforcée quelques semaines plus tard par la victoire de l’équipe B dans le championnat des équipes secondes contre l’AS Honfleur (5-0).
L’équipe du Club Malherbe Caennais, championne de Basse-Normandie 1912, encadrée par le vice-président Henri Pigis (à gauche) et le président André Détolle (à droite).
Debouts, de g. à d. : Piton – Bordarier – Etier
Accroupis, de g. à d. : Jardin – Digoit – Délivré
Assis, de g. à d. : Mullois – Chérencey – Le Somptier – Fontaine – Hay.
© Archive collectée dans le cadre de Malherbe 1913, ouvrage collectif paru aux éditions Myths en 2013.
Le CMC se devait maintenant de bien préparer le 1/8 de finale de championnat de France qui allait l’opposer aux Parisiens de l’AS Française. Pour ce faire, un match amical idéal était prévu contre le Racing Club de France, champion de Paris en 1911 et finaliste du dernier championnat de France. Racing Club de France que la presse de l’époque rappelait, à juste titre, être le club doyen du football (association) français. Or, les Racingmen n’étaient pas venus sur les bords de l’Orne pour faire du tourisme, puisqu’ils alignaient trois internationaux et deux interrégionaux. De leur côté, les noir et blanc alignaient la même équipe que face à l’ASTD. Devant plus de 500 personnes, les Caennais subirent toutefois la loi du club de la capitale et surtout son réalisme froid ; car, si le score sévère de 5 à 0 clôtura le match, il ne reflétait qu’imparfaitement la teneur de débats assez équilibrés dans le jeu. Le manque cruel, parfois inexplicable, d’adresse devant le but des locaux était un avertissement sans frais pour le match éliminatoire qui s’annonçait au boulevard Leroy le 10 mars 1912. Afin de pallier les déficiences entrevues sur le côté droit de l’attaque caennaise, Brionne était promu à la place de Mullois. Sans complexes, les Caennais se montraient même dangereux d’entrée et atteignaient la mi-temps sur le score de parité parfait : 0-0. Mais ils furent surpris dès la reprise et l’équipe parisienne l’emporta finalement facilement par 5 buts à 0. Cette belle équipe de l’AS Française irait d’ailleurs cette année en finale, battue par le Stade Raphaëlois seulement après prolongation. Mais surtout, le public caennais avait définitivement pris goût au jeu et l’on gageait qu’une nouvelle chance se présenterait l’année prochaine !
Néanmoins, la saison de football association n’était pas encore tout à fait terminée. Deux matchs amicaux étaient encore au programme au début du printemps. Pour le premier, le CMC reçut chez lui le champion de Maine et de Beauce : l’US Le Mans. Les Malherbistes réussirent à cette occasion un véritable récital en l’emportant sur le score sans appel de 9 à 1. Emmenée par Digoit, Jardin, Hay, Le Somptier et surtout Bienne, qui s’affirmait de plus en plus sous la tunique noire et blanche, l’équipe rendit une partition nette et sans bavure. Enfin, pour le dernier match de la saison, les Caennais eurent l’honneur d’affronter une nouvelle équipe anglaise de l’AFA. Cela perpétuait l’heureuse tradition commencée en 1909 et placée sous le sceau de l’Entente Cordiale dans laquelle baignaient ces temps d’avant tempête. Or, nous nous souvenons de la performance digne d’éloges réalisée par les coéquipiers de Le Somptier face aux St-Albans Crusaders l’année précédente. En conséquence, les sportmen de la région attendaient déjà avec impatience le dimanche de Pâques, date œcuménique parfaite qui avait été choisie pour la rencontre. Pour la première fois, l’adversaire n’était pas la sélection amateur du comté de Hertfordshire, mais celle du Kent. A la subvention accordée par le conseil général au comité de Basse-Normandie, la municipalité de Caen fit voter en sus une subvention de 250 francs afin de faciliter la venue de l’équipe britannique outre-Manche. Pour la troisième année d’affilée, la pelouse du Parc de l’Hôpital à Caen accueillit la rencontre. Signe d’une époque aux relents nationalistes et belliqueux, la manifestation était placée sous l’auspice d’une souscription nationale au profit de la toute jeune aviation de guerre française. Quand sport et patriotisme font cause commune…
Précédées par des assauts d’escrime et de boxe, les équipes entrèrent sur la pelouse devant une assistance de 1500 personnes au son du « God save the King » et de la « Marseillaise », entonnés par la musique du 36e Régiment d’Infanterie. La formation du Kent Occasionnals Football Club présentait une équipe redoutable, avec notamment le gardien international Lack comme dernier rempart. Le début de la rencontre fit craindre un déluge de buts, puisque la domination outrageuse des Anglais leur permit de scorer logiquement dès la 7e minute. Les Normands parvinrent toutefois à équilibrer quelque peu les débats en s’offrant quelques attaques construites. La mi-temps était atteinte sur le score de 3-0 avec le concours malheureux du gardien Bordarier. Malherbe revint pourtant avec l’ambition de sauver l’honneur. Hay se démena sur son côté, passa à Chérencey qui transforma l’offrande de son camarade grâce à un tir qui heurta le poteau avant d’entrer dans le but. Les visiteurs marquèrent néanmoins deux buts supplémentaires et remportèrent la partie 5 à 1. Les champions de Basse-Normandie concluaient malgré tout avec panache une saison fort prometteuse pour l’avenir. Tout le monde avait déjà hâte d’entamer l’exercice 1912-1913, qui serait, on le verra, le dernier du Club Malherbe Caennais.
© Collection Pigache. Archive collectée dans le cadre de Malherbe 1913, ouvrage collectif paru aux éditions Myths en 2013.
Dès la fin du printemps 1912, le comité de Basse-Normandie préparait la nouvelle saison de football. Il fut décidé de diviser à nouveau le championnat de 1ère série en deux groupes. Groupe A : CM Caennais – CS Caennais – SC Cherbourg. Groupe B : AS Trouville – AS Honfleur – SC Bernay – Pont-L’Evêque. La finale entre les vainqueurs de chaque groupe aurait lieu à Caen en un seul match. Le champion de 2e série passerait d’office en 1ère série pour la saison 1913-1914. En dépit de l’âpreté de la résistance trouvillaise, le Club Malherbe était considéré comme le grand club bas-normand et la valeur de ses joueurs en faisait désormais une des équipes reconnues de province. Le championnat ne débutant qu’à la fin du mois de novembre, une intense préparation était possible, mais aussi indispensable si le CMC voulait franchir un nouveau palier. Aussi, pas moins de huit matchs amicaux scandèrent-ils cette période. Au programme : US Quevilly, Sporting Club Amical de Paris, UALM, AS Honfleur, FC Dieppe, FC Rouen, Ecole des Roches et…AS Trouville-Deauville, en guise de mise en bouche ultime avant les joutes officielles.
L’effectif du Club Malherbe n’avait perdu aucun joueur majeur et s’était même renforcé, notamment avec l’arrivée du solide « back » Castel, transfuge du Club Sportif Caennais, dont l’étiolement dans la pratique du football était de plus en plus manifeste. Un des points faibles de la saison passée, le gardien Bordarier, n’était plus titulaire du poste. Le CMC enregistrait avec plaisir le retour de l’excellent Le Galcher-Baron, gardien titulaire de 1908 à 1910. Innovation tactique, le capitaine Eugène Le Somptier reculait d’un cran au poste de demi-gauche, laissant la place d’avant-centre à Marcel Chérencey.
Malgré une rentrée beaucoup plus précoce que d’ordinaire, l’équipe du CMC confirma la bonne impression laissée l’année précédente avec une bonne victoire 3 buts à 1 sur le terrain de Quevilly. Le Sporting Club Amical de Paris, quatrième du dernier championnat de Paris constituait un autre test très intéressant. Hélas, l’équipe était bien trop incomplète pour pouvoir rivaliser avec ce genre d’adversaire, qui l’emporta aisément 7 à 1. Les automatismes mettaient un petit peu de temps à se mettre en place du fait du roulement très important de joueurs en ce début de saison et de la volonté de mettre à l’essai les nouvelles recrues, à l’instar de l’Anglais Kirkpattrick. Le match de préparation de référence devait être celui joué contre le FC Rouen, déjà affronté en 1911. Les Caennais se rendirent donc sur le terrain du Grand-Trianon, à Rouen, où les observateurs avisés purent mesurer les progrès enregistrés par une équipe défaite 8 à 0 un an plus tôt. Avec une équipe qui n’était toujours pas au complet, les Malherbistes tinrent parfaitement la comparaison avec leurs homologues durant la première période, dominant l’entame de match et ne cédant qu’à une seule reprise. La deuxième mi-temps fut plus nettement à l’avantage des Rouennais, mais la défense énergique des Caennais ne permit aux Hauts-Normands de n’ajouter que deux buts supplémentaires, pour une victoire finale 3-0. Encourageant ! L’Ecole des Roches ne fut ensuite qu’une formalité au boulevard Leroy pour des Caennais vainqueurs 8 à 1. Mais le suprême intérêt résidait bien sûr dans la rencontre programmée le 17 novembre sur le terrain des noir et blanc face au dauphin du CMC en 1912 : l’ASTD. Si une pluie drue s’invita, malheureusement, le choc tint toutes ses promesses. Les Trouvillais se montrèrent très à l’aise en première période et menaient 2 à 1 à la pause. A la reprise, Malherbe fit preuve d’autorité et domina outrageusement. Hélas, le terrain, de plus en plus lourd, ne permit pas aux attaquants de faire montre de l’efficacité requise. Le CMC ne put faire mieux qu’égaliser, en dépit d’une multitude d’occasions. La partie laissait finalement les éternels rivaux dos à dos sur la marque de 2 buts partout, mais augurait d’un passionnant épilogue dans le championnat, dont tout le monde estimait que la finale offrirait l’occasion d’une belle entre les deux derniers tenants du titre. Place à la compétition !
Le premier match du championnat opposait les noir et blanc à une vieille connaissance : le Club Sportif Caennais. Club historique du football bas-normand, le CSC était le seul à avoir participé à toutes les éditions depuis la création de la compétition en 1900, sans jamais avoir pu, malgré tout, inscrire son nom au palmarès. Par ailleurs, le club fondé par Stéphane Hervieu en décembre 1899 tendait à se détourner progressivement de la pratique du football pour celle du rugby. Cette inflexion, patente depuis la fusion du CSC avec le Rugby Club Caennais en octobre 1910, était à mettre au crédit du nouvel homme fort du club, André de Borniol, particulièrement féru de jeu à la main. Propriétaire du grand hôtel de la place Royale à Caen (actuelle place de la République), cet homme était un vrai passionné, prenant le sifflet chaque dimanche avec une « maestria » et une autorité que tous lui reconnaissaient. D’ailleurs, si le CSC n’était plus du tout en mesure de rivaliser avec le CMC sur les terrains de football, il prenait allégrement le dessus dès qu’il s’agissait de balle ovale, en témoigne la large victoire infligée pour le compte du championnat de Basse-Normandie en novembre 1912 (17 points à 0). Depuis plusieurs saisons déjà, les meilleurs joueurs de football du CSC venaient renforcer les rangs du CMC (Chérencey, Vromet, Bienne et Castel en premier lieu).
1912 – André de Borniol, debout à gauche avec la casquette, posant avec ses joueurs du CSC. Au centre, chandail sur les épaules, Henri Prestavoine.
© Archives privées, collection personnelle Jacques Prestavoine.
A posteriori, le match inaugural du championnat de football 1912-1913 entre deux équipes qui devraient fusionner moins d’un an plus tard constitue un symbole fort de l’histoire à venir du Stade Malherbe. Tout d’abord, les couleurs arborées par le CSC pour son équipe de football, déposées auprès du comité de Basse-Normandie en février 1912 pour la saison 1912-1913 : maillot bleu foncé, petites rayures horizontales rouges, culottes blanches. On s’en souvient, il était déjà arrivé au CSC de jouer en rouge et bleu (notamment en 1903, à l’occasion d’un match contre Trouville), mais l’équipe n’avait jamais abandonné depuis lors sa traditionnelle tenue blanche des débuts. Le lieu, ensuite, puisque les deux sociétés rivales de la cité caennaise s’affrontèrent sur le nouveau terrain du Club Sportif…à Venoix. Dans le jeu, le suspense ne dura guère longtemps. Le score était déjà de 5 buts à 0 à la mi-temps et les « universitaires » de Malherbe écrasèrent finalement leurs homologues 7 à 0. Il est vrai que la prestation calamiteuse du goalkeeper des Clubmen ne les aida point à tenir dignement la comparaison. Un sursaut d’orgueil était vivement attendu pour le match retour au boulevard Leroy, terrain sur lequel la réserve du CSC venait littéralement d’exploser face à la réserve malherbiste (14-0).
La semaine suivante se tint un des matchs amicaux de prestige, auxquels le nombreux public du boulevard Leroy était maintenant habitué, face au Racing Club de France. Les joueurs de la capitale débarquaient sur les bords de l’Orne avec le statut de leaders du championnat de Paris. Autant dire que le défi proposé aux noir et blanc s’avérait une fois de plus des plus corsés. Nonobstant un temps glacial, plus de 400 spectateurs étaient venus assister à cette rencontre de gala. Malheureusement, au dernier moment, le gardien Le Galcher-Baron et les deux arrières titulaires firent défection, ce qui compliqua sérieusement la capacité de résistance des Malherbistes face à l’attaque menée par le Parisien Matthey. Le début de partie n’en fut pas moins assez équilibré et le score était de un but partout au bout de vingt minutes de jeu. A la pause, les Racingmen s’étaient néanmoins déjà détachés de deux buts en leur faveur. Les noir et blanc ne firent que brièvement illusion en deuxième période. Si, grâce à un joli but de volée de Lépinois, ils revenaient à trois buts et deux, la fin du match se transforma en calvaire pour des locaux qui encaissèrent cinq buts supplémentaires, pour un score final de 8 buts à 2. Quelques satisfactions pouvaient malgré tout être retenues. Vromet, positionné en défense, était loin d’avoir démérité face à une attaque d’un tel calibre. Au milieu, Le Somptier sauva souvent la situation. Devant, Bienne, Lépinois et Hay furent bons, ainsi que Chérencey, en dépit d’une lenteur parfois dommageable. Tout le monde avait hâte de voir enfin l’équipe au grand complet dans ce genre de rendez-vous ! En attendant, les joutes moins flamboyantes du championnat devaient toutefois reprendre leurs droits. Le 8 décembre 1912, c’est l’équipe du SC Cherbourg qui était attendue sur le ground malherbiste. Cependant, les Cherbourgeois n’étaient pas en gare de Caen ce jour-même et le CMC fut déclaré vainqueur par forfait (3-0). Pour sûr, cet événement fâcheux ne se produirait pas le 15 décembre, date du match retour entre le CMC et le CSC sur le terrain du boulevard Leroy. Si les visiteurs du jour furent une nouvelle fois vaincus (3-0), le match fut d’une qualité médiocre et les Malherbistes se montrèrent trop souvent individualistes dans leurs initiatives. Péché cardinal du jeu collectif !
Après la « trêve des confiseurs », le Club Malherbe était attendu à Cherbourg le 5 janvier 1913 pour matcher l’équipe locale. Une rencontre très sérieuse du « team » caennais lui permit de l’emporter 6 à 0, grâce au brio de ses attaquants Hay, Bienne et Tellier. A noter la constitution d’un duo d’arrières totalement inédit : Bach, associé au jeune Jacques Bouleis, membre de l’équipe lycéenne. Par cette victoire, le CMC terminait en tête de son groupe et tenait de la sorte sa qualification pour la finale du championnat de Basse-Normandie. Une fois encore, l’adversaire serait l’AS Trouville-Deauville, vainqueur de son groupe. Dans l’intervalle, le CMC joua et gagna 4 à 2 contre le Stade Lavallois, puis retourna à Cherbourg, où, à la surprise générale, l’équipe fut tenue en échec un but partout. Excès de facilité ? Toujours est-il que cela constituait un bien mauvais présage pour le match au sommet, dont il fut finalement décidé qu’il se jouerait sur les terres du dauphin bas-normand de 1912…
9 février 1913 – Près de mille personnes sont massées dans l’hippodrome de Deauville pour assister au choc tant attendu. Côté caennais, deux absences sont à déplorer : Le Galcher-Baron et Etier. Complètement inexpérimenté dans ce domaine, Mullois est désigné pour garder le but des noir et blanc. Le handicap n’est pas mince pour une finale ! La partie est haletante et le jeu est vif. Trouville ouvre la marque. Malherbe réplique aussitôt et ajoute peu de temps après un deuxième but. Décidés à ne pas s’en laisser compter, les jaune et noir repartent à l’attaque, égalisent, et, deux minutes avant le repos, reprennent l’avantage. Quelle mi-temps ! Le second acte sera loin d’atteindre ce niveau. Les joueurs semblent émoussés par leur débauche d’énergie initiale. Le jeu devient plus lent et décousu. Aucun but n’est marqué. Trouville remporte ainsi le championnat de Basse-Normandie pour la troisième fois de son histoire après les succès de 1905 et de 1911. Les coéquipiers du brillant demi-centre Follain s’octroient le droit de participer aux phases qualificatives du championnat de France. Côté caennais, Piton ne fut pas loin d’être l’homme du match ; c’est un arrière de classe, qui fut souvent applaudi par le public local. Il forme avec Castel une solide dernière ligne. Au milieu, Le Somptier fut égal à lui-même, c’est-à-dire très bon. Ses comparses Lemoine et Vromet ne déméritèrent pas non plus. Quant à l’attaque, elle eut quelques éclairs chatoyants, notamment sur les côtés, où Hay et Bienne surclassèrent leurs vis-à-vis. Tellier et Lecauchois furent bons par intermittence, mais Chérencey fut trop lent. Lot de consolation, peu de temps après, le CMC (B) remporta le championnat régional de Basse-Normandie des équipes secondes face à…l’AS Trouville (B) par sept buts à un.
Privés des joies d’un match éliminatoire, les Malherbistes n’avaient plus qu’à conclure leur année sportive par les matchs amicaux de fin de saison. Le 16 février 1913, le club du président Détolle reçut l’Union Athlétique Intergadzarts de Paris sur son terrain du boulevard Leroy. Les visiteurs, n’alignant que six titulaires sur onze, furent facilement corrigés par six buts à rien. Le jeune Bouleis en profita pour confirmer son talent au poste d’arrière, tandis que Le Somptier et Hay furent les joueurs les plus en vue d’une partie en marge de laquelle furent donnés le départ et l’arrivée du championnat régional de cross-country de Basse-Normandie. Au passage, les sociétaires du CMC en profitèrent pour se distinguer avec la victoire de Charles Osmont en individuel et le titre par équipes. Mais bientôt, le désormais traditionnel événement pascal arrivait à grands pas. Une équipe de la banlieue de Londres, le Newportonians FC, était cette fois-ci conviée. Signe de la spectaculaire réconciliation des ligues françaises, le CMC accueillait pour la première fois, non pas une équipe de l’AFA (seule apte à présenter des matchs internationaux aux équipes affiliées à l’USFSA entre 1908 et 1913), mais un club de la prestigieuse Football Association (FA). C’était, aux dires de certains, la meilleure équipe anglaise qui ne soit jamais venue à Caen. Pour ce match de gala, les noir et blanc eurent le bonheur de bénéficier du renfort de leur ancien coéquipier, Maurice Parat, qui évoluait désormais au Stade Français depuis que ses activités professionnelles l’avaient enjoint de gagner la capitale. Dès 14h30, 1500 personnes prirent place autour du terrain du Parc de l’Hôpital. Elles purent assister tout d’abord à des assauts de boxe et d’escrime, suivis d’un 400 mètres haies et d’un 6000 mètres plat. Comme de coutume, les hymnes accueillirent les équipes au son de leur hymne national respectif. Sans complexes, les joueurs français parvinrent à légèrement dominer le début de partie ; Chérencey se voyant même refuser l’ouverture du score pour un hors-jeu. Mais ce furent les Anglais qui atteignirent la pause avec un but d’avance (1-0), grâce à une superbe frappe des 25 mètres de Ankett, sur laquelle Bobier ne put rien malgré un beau plongeon. Lors du second acte, en dépit de quelques actions peu payées pour les noir et blanc, le FC Newport accentua sa domination et inscrivit trois buts supplémentaires (4-0). Malgré l’absence de quatre de leurs meilleurs joueurs, les locaux n’avaient pas démérité pour autant. De l’avis général, Le Somptier, Vromet, Bouleis et Castel évitèrent aux leurs une plus lourde défaite. Cette belle journée fut conclue par un lunch. M. Fletcher, membre du CMC, traduisit l’allocution prononcée par Henri Pigis, à laquelle le capitaine anglais répondit brièvement en disant toute la joie qu’il ressentait à trouver chez les Caennais de véritables « sportslikemen ». Enjoy !
Joueurs et dirigeants de la dernière équipe du CMC posant lors de la rencontre face au Newport FC (23 mars 1913).
En haut, de g. à d. : ? – H. Pigis (vice-président) – Adam – Vromet – Digoit – David – Bobier – Bienne – H. Françoise – J. Bouleis – E. Le Somptier – V. Mullois – ?
En bas : Castel – Chérencey – Piton – A. Le Somptier – Hay – Parat.
© Archive collectée dans le cadre de Malherbe 1913, ouvrage collectif paru aux éditions Myths en 2013.
Le 13 avril 1913, les joueurs du CMC furent conviés à Bernay afin de participer à la coupe du Sporting local. Les noir et blanc infligèrent un cinglant 14 à 0 aux Bernayens alors qu’ils n’étaient que dix sur le terrain, puis seulement huit une partie de la seconde mi-temps, deux équipiers s’étant retirés du jeu ! Ainsi s’achevait la saison de football, qui laissait place à celle d’athlétisme. Le début de la saison suivante serait marqué par un coup de tonnerre dans la cité ducale…
L’été 1913 fut, semble-t-il, marqué par des « tractations » en coulisses entre les deux clubs du CMC et du CSC en vue d’un rapprochement. Tandis que la rencontre déterminante eut lieu le lundi 8 septembre 1913, dans une salle du Café du Chalet, siège social du CMC, situé Cours Sadi-Carnot à Caen ; la spectaculaire annonce de la fusion sortit dans la presse du 10 septembre 1913 : « Voici une grande nouvelle pour le monde sportif de Basse-Normandie, nouvelle dont nous sommes heureux d’offrir la primeur aux lecteurs de « l’Ouest-Eclair » : les deux grands clubs rivaux jusque là, le Club Malherbe Caennais et le Club Sportif Caennais, viennent de fusionner sous le titre de Club Sportif Malherbe Caennais. Telle a été la décision sensationnelle qui a été prise à la réunion extraordinaire des délégués des deux sociétés. » Finalement, c’est au cours de la réunion du 14 septembre 1913 que la décision fut prise d’adopter de manière définitive le nom de « Stade Malherbe Caennais ». Si le CMC imposait finalement son nom, les couleurs adoptées étaient celles de l’ancien CSC, bleu marine rayé rouge, mais avec les bandes verticales du CMC. Le club évoluerait sur le terrain de Venoix. Un nouveau bail serait d’ailleurs signé le 1er juin 1914 entre le président du SMC et M. Almire Levée, propriétaire du terrain de Venoix. L’herbage, d’une superficie d’environ cinq hectares, étant alors partagé conjointement avec la Société Hippique de Basse-Normandie.
Une question mérite toutefois d’être posée : pourquoi un tel rapprochement entre les deux clubs ?
Du côté du Club Malherbe, la perte du titre régional face à Trouville et la difficulté réelle à concurencer les meilleures formations nationales furent les motifs déterminants dans la réflexion de dirigeants qui ambitionnaient de bâtir l’équipe de football la plus compétitive possible. Pour le CSC, des considérations plus pragmatiques ont, semble-t-il, guidé cette inflexion vers un rassemblement des forces vives des deux grands clubs caennais. La réforme du championnat annoncée en février 1913 fut sûrement un élément décisif. Nous l’avons vu, au cours de la saison 1912-1913, le championnat avait été divisé en deux groupes. Or, le maintien de plusieurs forfaits incita l’instance régionale à annuler sa décision du mois de mai 1912, au profit d’une autre formule, qui prévoyait de regrouper uniquement cinq équipes dans le championnat de 1ère série (au lieu de 8). Il fut décidé que trois équipes seraient qualifiées d’office (celles qui n’avaient pas eu recours au forfait) : le CMC, Trouville et Bernay. Les autres clubs devaient disputer une poule, dont les deux premiers pourraient intégrer la 1ère série. Pont-L’Evêque étant éliminé d’office suite à son forfait général, les équipes en lice étaient les suivantes : CSC, Cherbourg, Honfleur et Saint-Lô (champion de 2e série). Ce projet rétroactif sembla faire grincer pas mal de dents. D’après la presse, un des clubs (lequel ?) fit appel de cette décision à l’USFSA. Les équipes désignées vivaient sans doute mal d’avoir un « championnat » à effectuer pour intégrer une 1ère série à laquelle on leur avait promis d’appartenir pour la saison suivante. D’autre part, l’argument de la distance géographique entre les villes participantes fut avancé, puisqu’il était nécessaire de procéder parfois à deux, voire trois changements de train (entre Honfleur et Saint-Lô par exemple) pour jouer les rencontres. Peut-être que la perspective de forfaits ou de « descente » avait convaincu les dirigeants du CSC de la nécessité de fusionner avec le club rival. Le Club Malherbe apparaissait véritablement en position de force, du fait de la prééminence incontestable du football sur celle du rugby (notons par ailleurs que le CMC venait d’ouvrir une section de hockey). De fait, en y regardant d’un petit peu plus près, si, d’un point de vue juridique, il s’agissait bien d’une fusion ; en réalité, c’était une absorption. L’article 4 des statuts du SMC précisait que « Le Stade Caennais se recrute parmi les élèves et anciens élèves du lycée de Caen, les étudiants et en général toutes les personnes de bonne éducation », tandis que le club était encore présenté comme « l’équipe du Lycée Malherbe ( !) » en janvier 1914. Exit les références au Club Sportif ! Mais naturellement, les dirigeants prirent soin de respecter la « parité » au cœur des instances du nouveau club. Si la présidence fut confiée au président du CSC, André de Borniol, on remit le titre de président d’honneur à André Detolle, président et membre fondateur du CMC. La première vice-présidence échut à Henri Pigis (CMC) et le secrétariat général à l’infatigable dirigeant du CSC, Henri Prestavoine. Victor Mullois (CMC) devint le trésorier du club, tandis que des commissions de sections mirent à leur tête Pigis pour « l’association », Borniol pour le rugby et Ledru pour l’athlétisme. Les statuts du SMC furent autorisés par la préfecture du Calvados le 17 novembre 1913. « 1913 » n’a donc rien d’une rupture, mais représente d’abord une continuité avec l’identité « Malherbe », fièrement incarnée par le CMC depuis 1907, entité elle-même héritière de l’aventure pionnière du football lycéen des origines. Fait significatif, le cinquantenaire du Stade Malherbe fut célébré en…1950, preuve d’une certaine confusion dans la mémoire des anciens entre la création du Club Sportif Caennais en décembre 1899 et la coexistence en parallèle d’équipes affichant l’étendard noir et blanc de Malherbe.
En guise de réflexion plus générale, il ne saurait être question de faire abstraction du contexte plus global d’une époque que l’on sait pour le moins tendue. Les dirigeants dévoués, amoureux de la cause sportive, avaient également d’autres considérations en tête : il s’agissait de contribuer à former les citoyens-soldats d’une IIIe République revancharde. Dans les mentalités de cette période, l’éducation physique étant perçue comme le moyen de former des conscrits aptes aux besoins de l’armée, le Ministère de la Guerre sollicita naturellement le mouvement sportif du pays. L’Instruction du 8 novembre 1908 définissait ainsi les conditions selon lesquelles les sociétés étaient autorisées à dispenser une formation dans le cadre du brevet d’aptitude militaire créé en 1903. L’USFSA incita ses sociétés affiliées, présentes et futures, à servir les intérêts supérieurs de la patrie : « Ne manquons pas, puisque l’occasion se présente si belle, de montrer quelle force éducative possèdent les sports que nous préconisons et prouvons au pays quels soldats on peut faire avec les hommes que nous formons » (PV bureau et conseil de l’USFSA, 13 mars 1909). Allant dans ce sens, la circulaire du Ministère de l’Instruction Publique du 7 mars 1910 fut relayée comme suit dans l’académie de Caen : « Aujourd’hui plus que jamais, il importe que les jeunes gens qui sortent des établissements publics d’enseignement secondaire soient bien préparés à ce point de vue, et il est désirable que le plus grand nombre possible puisse obtenir le certificat d’aptitude militaire qui, en leur procurant des avantages appréciés, fournira à l’armée nationale des recrues bien entraînées ». Les dirigeants du Club Malherbe Caennais se sentaient particulièrement investis dans cette « mission », notamment dans le cadre de la pratique et de promotion du football à Caen. Du 2 au 4 mai 1913, le CMC prit ainsi part au IVe congrès régional des « Petites A », notamment aux travaux de la 3e commission : « Les Petites A et l’éducation physique ».Voici ce qu’on pouvait lire dans le compte-rendu : « Quant au football, c’est un exercice complet qui, en plus de la force (ne pas confondre avec la brutalité), exige encore de l’adresse, de la discipline volontaire, et développe les idées de solidarité : on joue non pour soi, mais pour l’équipe […] Ces jeunes gens par leurs qualités morales et physiques deviendront des hommes capables de courage et de responsabilité ». On rapporte, l’exemplarité de l’action du CMC dans sa volonté de faire pratiquer les exercices de plein air aux enfants. On note que son terrain était ouvert aux élèves de l’Ecole Normale et de l’école primaire supérieure. Tous les jeudis, et souvent le dimanche, les équipes de ces Ecoles venaient s’y ébattre. En outre, le club du président Détolle organisait tous les ans une sorte de championnat dit « coupe des minimes » entre tous les scolaires n’ayant pas encore atteint l’âge de 15 ans.
Evidemment, ces préoccupations ne disparurent pas avec la création du Stade Malherbe, les mêmes hommes étant aux commandes. On les retrouve notamment sous la plume de Marcel Chérencey dans le premier bulletin du Stade Malherbe Caennais de décembre 1913. Dans son édito, ce dernier se réjouissait de la force nouvelle procurée par la fusion CMC-CSC : « Réunis ils constituent une force de laquelle nous attendons les meilleurs résultats, appliquée qu’elle sera au triomphe de la cause sportive ». Cause qu’il reliait immanquablement à l’intérêt supérieur du pays, en notant que « la proportion des conscrits bons pour le service s’était considérablement accrue grâce à la pratique plus répandue des sports virils. Tous les non convaincus le seront avec nous lorsqu’ils constateront que l’on put incorporer sans déchet appréciable une classe de vingt ans et ce malgré les avis de nombreuses sommités médicales ou militaires… » Quand la fusion des deux clubs répondait aussi aux exigences patriotiques de l’époque !