J’ai mal au crâne.
Je prends mon petit-déjeuner devant la télévision. L’état d’urgence se poursuit, la traque aussi, les assassins accèdent toujours à la postérité et leurs victimes à l’oubli ; tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, ce n’était qu’un affreux cauchemar. Je vérifie le classement de Ligue 1 : Malherbe est toujours troisième après un jour sans d’Angers. Je traîne toutefois dans les vapeurs matinales une sourde angoisse de gagnant au loto, la nuit s’étant faite le catalyseur de mes inquiétudes.
A la rédaction, toutes les huiles sont présentes. Savidange est en révisions, Denis D. fait des histoires à un Michel Thor toujours aussi marteau. Au Malherbe Café, je retrouve Jenny Barre qui, depuis son passage en radio, glougloute avec la Caencanneuse, la seule à la comprendre depuis son accouchement. Il n’est que neuf heures mais je commande une Budwamser, puis me tourne vers ces dernières, plein de reproches :
– Je vous remercie pas pour cette idée de scénario catastrophe de fin de saison, ça m’a retourné le cerveau.
– Donc il est dans le bon sens maintenant ?
Jenny se tape une barre, boit la tasse, se noie, se tait.
– Et du coup, t’en as profité pour l’écrire? m’interroge la jeune maman.
– Euh… Eh doucement, j’arrive seulement!
Je siffle ma blonde et salue le Président qui, à peine sorti de sa Bentley de collection, fait une entrée remarquée immortalisée par Hair Day. Je jette un œil à son œuvre et de l’artiste fait le deuil ; rest in peace! Je cherche Aurélien pour un jeu de mot matinal, le trouve sur le départ avec la section kids, observe le travail de ces derniers en connaisseur, vais au devant de mon collègue visiblement très pressé : « C’est étonnant la façon dont ils dessinent! » débite-t-il en filant rapidement. Finalement, je m’installe et commence à bosser, essayant d’insuffler du sens à ma nuit tourmentée. De quoi s’agissait-il déjà ? Patrice Garande qui signerait à Chelsea, des joueurs convoqués en équipe de France, des blessures idiotes, des tensions au sein du vestiaire, des finances qui partent en vrille… Ce sont en effet les ingrédients d’un possible scénario catastrophe, mais très improbable. Voyons, qu’est-ce qui pourrait être suffisamment crédible pour mériter d’être écrit ? Comment Malherbe pourrait, en foirant tout, une nouvelle fois accomplir son destin ?
Avec, à l’approche des fêtes de fin d’année, les premières morsures de l’hiver, je frissonne à l’idée d’une résurgence du fameux trou normand, avec notre escouade rouge et bleue qui se serait donnée pour mission de pourfendre la statistique et d’accomplir l’exploit, de claques en fessées, d’en fin de saison s’affaisser plus bas que le Téfécé. Pour cela, le club aura eu recours en décembre, lors d’une mise au verre, au bons conseils de Jean-Marc Furlan, véritable cheval de Troyes. Mais ce scénario je n’y crois guère et s’élève du tréfonds de mes craintes un remix de Haendel.
Les notes défilent à la lisière de mes songes, insaisissables, évanescentes, palpables par leurs vibrations auxquelles font écho les battements de mon cœur et, l’instant qui suit, mélopées puis murmures envolés sous un dernier souffle d’envie. J’essaye bêtement d’en capter une d’une oreille ultrasensible, perçois une résonance, presque un cri, remonte à la source et les bras balayant l’air qui m’entoure cherche à attraper la muse qui virevolte et s’enfuit. Ma déception n’a d’égale que l’inspiration qui s’ensuit. Je bondis de ma chaise, tape quelques lignes, ne trouve personne à qui les faire lire, déprime, les efface, abandonne.
Seul dans mon coin, je fredonne l’hymne de la Ligue des Champions et me demande par quelle stupide naïveté, quelle foi imbécile, je continue à y croire malgré moi. Puis j’y pense encore et toujours et d’ailleurs, plus j’y pense, plus je flippe. Ce serait si beau, tout perdre serait terrible et je réalise que ne pas connaître l’espoir est l’antidote du désespoir. Et aussitôt je m’insurgede broyer du noir, de craindre une saison blanche au lieu de rêver rouge et bleu. Puis, à mon corps défendant, de nouveaux scénarios s’échafaudent dans ma caboche désarmée. Je n’y peux rien. Vraiment.
Je vous le dis, cette saison est un cauchemar.