Je vais prendre 30 ans cette année et, à bien y réfléchir, je n’ai jamais connu de période plus excitante comme supporter du Stade Malherbe Caen. J’étais trop jeune en 1992 pour le vivre pleinement, trop déçu de n’avoir eu de place pour la finale de 2005 ainsi que par la descente qui s’ensuivit, trop ambitieux pour suffisamment profiter d’un titre de champion de Ligue 2. Évidemment, il y eut les montées innombrables ponctuées de rechutes mémorables, alors très loin de moi l’idée que l’on puisse s’ennuyer en étant Caennais. Je souhaite juste établir un constat : cela va bientôt faire un an et demi que nous vivons ce rêve rouge et bleu.
Qui pourrait l’avoir oublié ? Nous étions à l’orée de l’année 2015 souillés comme de vulgaires Havrais. Nos performances ridicules et quelques larmes de crocodiles invitaient à la plus grande circonspection, les statistiques nous promettaient l’enfer et nous avions de nouveau un pied et quatre orteils dans l’ascenseur. Oh finalement, il y eut bien tout ça… Ce fut l’enfer pour nos adversaires, la circonspection pour les observateurs et l’ascenseur pour les sommets ! Mieux, avec deux pépites dans l’effectif, le club avait une possibilité de construire un avenir serein.
C’est pour le moment chose faite, bien que pas exactement de la manière espérée. Ngolo Kanté a pris la route de Leicester, est devenu selon Sir Alex le meilleur joueur d’une Premier League qu’il pourrait dès sa première saison remporter et s’est invité, à quelques mois de l’Euro, en sélection chez les Bleus. Thomas Lemar de son côté a conquis le Rocher, en est devenu le maître incontesté et ne cesse de s’étoffer. Deux transferts réussis à tous points de vues puisque les millions engrangés ont permis au club de bien recruter.
Cette réussite est le résultat d’un excellent travail d’équipe. A tout seigneur tout honneur et le président Fortin doit être le premier à féliciter. C’est lui qui a mis en place le remarquable trio Gravelaine-Caveglia-Garande entre les mains duquel se joue notre avenir désormais. Gravelaine ne cesse de rassurer avec sa gestion du club sereine et avisée, Caveglia d’épater avec notamment les recrutements de Delort ou Kanté et Garande d’impressionner par des choix forts et plébiscités. Mais si nous disputons aujourd’hui aux grands clubs les places européennes, c’est aussi à mon sens par la mise en place d’un vestiaire très sensé. Ainsi Malherbe est parvenu à se structurer idéalement, à jeter les bases d’un futur prometteur.
Sans vouloir donc cracher dans la soupe, je m’interroge. Faut-il jouer l’Europe à l’issue de cette saison? Le supporter en moi bout à cette simple question qu’il voudrait sans équivoque évacuer d’un grand « Oui! Oui! Oui! », cependant le Français qui sommeille à côté s’empresse de lui rappeler que, si la vie est jolie, c’est en nuances de gris qu’elle se vit. Qu’est-il donc arrivé à Lens, Auxerre ou Strasbourg au lendemain des grands soirs? Qui sait ce que sont devenus Alavès, le Rayo Vallecano, Hoffenheim ou Middlesbrough ?
Les exemples sont légion des clubs qui, la gloire conquise, s’en allèrent reposer dans la tombe. Pourtant, que ne serions-nous prêts à vivre pour en notre antre sourire à quelques notes de Championsleague ? Je sacrifierais tout avenir pour un présent de plaisirs, je brûlerais toute une vie pour une extase footballistique, je donnerais tout mon temps, mon argent et mon sang pour un palmarès de géant. Voilà peut-être pourquoi il ne vaut mieux pas qu’à la barre du club il y ait des gars comme moi, parce que je suis un froggie qui veut se faire plus gros que le beefsteak.
Le football est un sport, un jeu, un spectacle, une passion, un rêve, une religion mais aussi une économie, un marché, un destin, un enjeu, un terrain sur lequel des calculs les plus froids peut survenir l’étincelle qui embrasera bien au-delà de la seule arène les cœurs asséchés que seules quelques larmes pourront ensuite apaiser.
De peine ou de joie, ce sont ces larmes que je crains. Ne sont-elles pourtant le juste prix de notre déraison ?