Le monde est absurde.
Disparaître n’est pas mourir mais s’effacer du monde. Tant que la mer ne t’a pas recraché, tant que le ciel ne t’a pas relâché, aucun deuil ne sera possible pour aucun d’entre nous. Emiliano, l’espoir perdure tant que battra ton cœur énorme dans la mémoire des tiens.
Et ils sont nombreux. Le monde est absurde et l’espoir est chose déraisonnable. L’empreinte que tu as laissée témoigne de ton passage. Nous savons que tu as été là. D’aucuns racontent que tu as marqué douze buts cette année, d’autres que ta grinta sauva Malherbe il y a quelques années. Hommage est rendu au joueur tandis que les larmes coulent pour l’homme. Les mots, en revanche, se refusent à formaliser l’évidence.
L’espoir est chose déraisonnable car combien imaginent encore, onze jours plus tard, que tu pourrais avoir survécu quelque part? Qu’importe que des débris de l’avion aient été retrouvés sur les plages normandes, qu’importe ce message terrible que tu as laissé à tes proches et qu’importe, encore, la mer glaciale, l’air gelé, les iles désertes, le message de détresse, le givre et que sais-je! Les mots, terribles, ne sauraient être dits ou écrits qui te condamneraient.
Pour nous, tu es vivant. Tu es notre pote attaquant, celui qui n’a pas de dégaine, pas de technique, celui dont le talent ne saute pas aux yeux mais qui aime tellement les buts, qui veut marquer, à tout prix, du pied droit, du gauche, de la cuisse, du genou, du tibia, de la tête, peut-être même de l’omoplate si nécessaire! Tu es notre pote à tous qui hurle sa rage de vaincre après avoir fait trembler les filets, qui la gueule ouverte lève les bras et serre le poing avant d’embrasser tout le monde après un tour de terrain. Tu es notre pote qui ne contient jamais sa joie d’avoir marqué, égale en toute circonstance, qui exulte autant qu’il est d’ordinaire réservé.
Emiliano, je le répète, tu es vivant. La mémoire des supporters continuera de faire vivre le joueur tandis que ta famille gardera pour elle le souvenir de l’homme. Ton existence se poursuivra dans les histoires, les anecdotes et autres rétrospectives. Les supporters sont de fameux aèdes dont les chants narreront pour de nombreuses années tes quelques fameuses épopées. Les buts que tu as marqué, les batailles que tu as livrées, la grinta que tu as affichée forment une belle postérité.
Nous autres Normands, on se souviendra de ton arrivée il y a quelques hivers, non pas en jet mais sur la pointe des pieds. Nous étions au plus mal et tu avais besoin de te relancer. Nous nous sommes reconstruits ensemble. Sans toi, Malherbe n’en serait certainement pas là et, sans Malherbe, ta carrière n’aurait peut-être pas été la même. Nous sommes liés, à tout jamais, par ce petit bout de chemin si important pour chacun.
Car, qu’est-ce que le football finalement ? Onze mecs ou nanas qui courent derrière un ballon ? Les muscles de Cristiano, les crochets de Messi ou les roulades de Neymar ? Les salaires mirobolants, la violence des hooligans et la cupidité des agents ? Tout cela, c’est le football raconté par ceux qui ne l’aiment pas. Par ceux qui ne le connaissent pas. Par ceux qui ne TE connaissent pas.
Le football, c’est une relation tissée entre Emiliano Sala et des supporters lambdas de divers petits clubs ça et là. Le football, c’est la grande histoire que partagent tous ceux qui ont un jour aimé ou adoré un Emiliano Sala. Le football, celui qui s’inscrit dans notre quotidien, cette part essentielle de nos petites vies d’humains, tu le sais toi, l’Argentin, qu’il est écrit non pas de la mano de Dios mais par les pieds des gamins. Des gamins qui grandissent avec des modèles qui leur ressemblent, dont la vie n’est pas une fable inaccessible mais, sur le rectangle vert, un horizon possible. Malgré tous ses défauts, le football continue d’exister grâce aux exploits de tous les Emiliano Sala.
Sache, Emiliano, si tu n’es déjà plus, qu’à mes yeux, à nos yeux, tu as fort bien vécu.
Adios Emiliano, vaya con Dios.